Jamais une élection américaine n’aura été aussi suivie en Chine, scrutée avec grande attention aussi bien par ses dirigeants que par la population, convaincue que son destin est en partie lié à celui des États-Unis et de son 46ème Président, Joe Biden (乔拜登), 78 ans.
Confrontation avec les Etats Unis
Concernant les relations bilatérales cependant, la théorie la plus répandue durant la campagne est que quel que soit le gagnant, celles-ci ne s’amélioreraient pas à l’avenir, tant la confrontation est inévitable avec les USA, puissance "déclinante" essayant par tous les moyens de freiner l’ascension de la Chine – une thèse que l’on retrouve dans la presse officielle, mais qui reflète également un consensus au plus haut niveau. À Zhongnanhai, on s’attend tout au mieux à un changement de style de la part du vainqueur démocrate, mais pas en substance.
Craignant d’être accusé d’interférence dans la campagne électorale, mais aussi que Trump tienne la Chine pour responsable de sa défaite et durcisse le ton à son égard d’ici le 20 janvier 2021, jour de l’investiture de son successeur, Pékin s’est efforcé de maintenir une stricte neutralité de façade envers les candidats. Par contre, les médias d’État ont été autorisés à dépeindre un processus électoral chaotique et une société divisée, au bord de la guerre civile, espérant discréditer un peu plus auprès de sa population le modèle démocratique américain. Voilà qui peut expliquer une telle affluence sur les réseaux sociaux chinois de vidéos, mèmes internet, blagues sur l’élection américaine… Sur Weibo, le sujet a attiré plus de 11 milliards de vues au 8 novembre. Un engouement inédit qui contraste avec l’absence de participation de la population chinoise dans le choix de ses propres leaders. La plupart des internautes se sont délectés des plaintes du Président sortant, qui dénonce une "fraude massive", menace de déposer un recours devant la justice, et refuse d’admettre sa défaite… "La dernière mission de Trump est de tourner en ridicule la démocratie américaine", écrit l’un d’entre eux. D’autres confient déjà le regretter: "le Président Trump nous a beaucoup divertis ces quatre dernières années".
Trump populaire en Chine
Étonnamment, Donald Trump jouit d’une certaine popularité en Chine, souvent teintée d’ironie. Les internautes l’ont surnommé : "Trump, le bâtisseur de la nation [chinoise]" (建国) puisqu’il aurait contribué à la montée en puissance chinoise en accélérant le déclin de son propre pays. Sa gestion calamiteuse de la Covid-19 en est un parfait exemple, ayant permis à la Chine de vanter l’efficacité de son modèle de gouvernance. Plus surprenant: Trump, qui s’est présenté tout au long de sa campagne électorale comme le seul capable de tenir tête à la Chine, était le candidat préféré de certains nationalistes, notamment après s’être montré réticent à sanctionner les abus chinois au Xinjiang ou à Hong Kong. Autre surprise: dissidents chinois à l’étranger, Ouïgours en exil, activistes hongkongais, et une majorité de Taïwanais auraient également voté pour Donald Trump, Joe Biden étant perçu comme trop enclin au compromis.
Moins connu en Chine que Trump, certains médias ont repris le parcours de Joe Biden. Le décès tragique de trois membres de sa famille lui attire la sympathie du public chinois, qui salue également sa ténacité en apprenant qu’il a été deux fois candidat aux présidentielles, en 1988 et 2008, avant de les remporter en 2020. De manière générale, Biden est présenté comme moins provocateur, plus stable, rationnel, et surtout plus prévisible que Trump, la Chine n’appréciant guère être prise de court. Hier encore, Biden était considéré comme un fervent partisan de la politique d’engagement avec la Chine, et se targuait d’avoir passé plus de temps en privé avec le Président Xi Jinping que tout autre leader mondial: 25h de dîners selon son décompte, lorsqu’ils étaient tous deux vice-présidents entre 2011 et 2013. Depuis la pandémie, Biden a durci le ton. Le mois dernier, il a déclaré que la Chine est le "premier concurrent" des États-Unis, et la Russie son "principal ennemi".
Allègement des mesures contre la Chine
S’il y a des chances que Biden renoue le dialogue avec la Chine sur de grands sujets internationaux comme la question du nucléaire iranien, le changement climatique et la santé mondiale – Biden ayant promis de rejoindre l’accord de Paris et de réintégrer l’OMS en cas de victoire – il devrait se montrer ferme sur la question des droits de l’Homme. Il est également peu probable qu’il revienne sur les sanctions décrétées par l’administration Trump (tarifs douaniers, entreprises chinoises sur liste noire, semi-conducteurs…), la plupart bénéficiant d’un soutien bipartisan. Il pourrait toutefois envisager de lever certaines de ces mesures contre des concessions de Pékin…
Le futur Président n’a pas non plus caché qu’il cherchera à constituer un front uni face à la Chine, avec les alliés que Trump s’était mis à dos, mais dont il a libéré la parole critique envers Pékin. Ainsi, des leaders du monde entier se sont empressés de féliciter Joe Biden et sa future vice-présidente Kamala Harris dans les 24h suivant l’annonce de leur victoire : le Français Emmanuel Macron, l’Allemande Angela Merkel, la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, le Britannique Boris Johnson, le Canadien Justin Trudeau, l’Australien Scott Morrison, l’Indien Narendra Modi, le Japonais Yoshihide Suga, la Taïwanaise Tsai Ing-wen, le Philippin Rodriguo Duterte. Le Président Xi Jinping préférait patienter, tout comme ses homologues russe, brésilien, turc …
Ce qui est sûr est que les premiers mois suivant son investiture, le Président Biden aura fort à faire pour remettre son pays sur les rails, sanitairement et économiquement, et que la Chine ne sera pas sa priorité. Pékin, de son côté, a bien tiré les leçons des quatre années de la Présidence Trump, concluant que le temps des illusions est terminé. Avec une Amérique sous Biden, la Chine n’espère donc guère plus que gagner du temps, obtenir un répit, une certaine détente pour lui permettre de réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis – notamment technologique. L’objectif ultime reste bien sûr le même : gagner la course au pouvoir suprême, s’imposer en leader d’un nouvel ordre mondial.
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