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Expatriation et amitié : échange avec une psychologue existentielle

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Écrit par Amélie Huynh Le Maux
Publié le 25 août 2020, mis à jour le 25 août 2020

Lepetitjournal.com est allé à la rencontre de Fae Fredericks, une psychologue américaine expatriée au Vietnam, qui s’intéresse de près à l’importance des relations humaines. Car, bien avant la distanciation sociale imposée par le Covid, la solitude a été reconnue comme un enjeu de santé publique.


Sauvée(s) par l’amitié en pleine crise existentielle

C’est lors d’un voyage solitaire en Inde que Fae, dans l’incapacité psychologique et inexplicable de quitter sa chambre, est sauvée par la lecture du roman de Kayleen Schaefer sur l’amitié féminine (Text me when you get home). Fae réalise alors qu’elle n’a pas donné assez d’importance à l’amitié dans sa vie.

Quelques années plus tard, Fae cherche à développer son réseau amical sur Saigon et  fait la tournée des évènements de networking. Aucun n’est satisfaisant, mais elle en tente un dernier dans un petit bar caché du district 3. Elle tombe sur Linh et moi, qui organisons un apéro entre femmes solo-entrepreneurs afin de lâcher du lest et nous soutenir mutuellement.

Le courant passe rapidement avec cette grande blonde pleine d’énergie et d’empathie. On se revoit, autour d’un verre de vin ou d’un brainstorming, et l’on se met à parler d’amitié. Car je traverse, lorsque je la rencontre, une crise existentielle sur ce sujet. Elle m’apprend d’abord que Vivek Murthy, ancien administrateur de la Santé Publique aux Etats-Unis, a déjà tiré la sonnette d’alarme depuis 2017 en désignant la solitude comme une épidémie de santé majeure.


La psychothérapie existentielle selon Fae

« Je me sens coincé(e). Personne ne me connaît. Personne ne me comprend vraiment. Je ne suis simplement pas heureux/se ». Vous avez sûrement déjà entendu certains proches prononcer ces mots ou les avez-vous peut-être exprimés.

En exerçant à HCMV, Fae entend régulièrement ses patients évoquer solitude et absence de bonheur. Elle reprend alors ses recherches en psychologie existentielle, afin de créer un programme dédié s’intitulant  Approfondir et développer ses connections. Car elle semble en savoir long sur cette épidémie de solitude, notamment en situation d’expatriation, et propose des solutions pour y remédier. Son prénom se prononce comme la « fée » et cela me semble parfaitement approprié !

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En bref, la psychologie existentielle - prenant ses racines au temps des philosophes grecs - remet au centre la liberté de l’individu face au déterminisme social. Cette théorie est en adéquation avec la vision optimiste de Fae : chaque individu peut faire ses propres choix afin de donner un sens à sa vie. Pour elle, il faut faire de l’amitié une priorité, la chérir et la faire grandir. Pour moi, c’est une certitude, je dois écrire un article sur Fae afin de partager ses théories avec mes homologues expatriés.

L’échange avec Fae – qui, ironiquement, s’est fait sur Zoom - résonne encore en moi. « Qui sont mes véritables ami(e)s ? Qui me soutiendra si j’ai un problème au Vietnam ? Pourquoi ai-je quitté les amitiés durables que j’avais en France ? » sont des questions que je me posais après six mois d’expatriation. Ces interrogations reviennent en force lorsque le Covid nous impose de rester seul(e)s avec nous-même et de revoir nos priorités. Elles reviennent en force lorsque le Covid nous empêche de revenir voir nos proches en France et provoque une vague de départs sans précédent.


D’où vient donc ce sentiment de solitude en expatriation ? 

Fae a une réponse tellement simple et logique que c’en est à pleurer ! Notre ouverture d’esprit, un groupe réduit d’ami(e)s potentiels et le facteur temps entrent en jeu. Les deux premiers nous poussent à engager des amitiés que nous n’aurions jamais envisagées en France. Ne vous méprenez pas… La découverte des autres et de cultures différentes est un bienfait, mais nous devons fournir plus d’efforts pour construire ces liens d’amitié.

Le facteur temps, lui, est limitant car l’on sait inconsciemment que chaque nouvelle amitié se finira probablement par une énième fête de départ. Nous condensons donc les étapes de construction de l’amitié. En quelques semaines, on se rencontre, on s’ajoute en amis sur Facebook et on organise ensemble dîners et soirées. Temporalité plus qu’improbable dans notre pays d’origine !

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La culture du pays d’expatriation peut aussi renforcer ce sentiment de solitude. Au Vietnam, la barrière de la langue restreint encore le nombre d’amitiés potentielles. De plus, l’importance des réseaux sociaux en Asie amène un style de vie hyper-connecté et donc de l’immédiateté. Nous multiplions donc les amis Facebook jamais rencontrés, les cafés ou déjeuners jamais renouvelés, le retard et l’annulation de dernière minute – je plaide coupable ! 

Mais pourquoi se sent-on libre d’agir d’une telle façon, alors que nous jugerions cela impensable avec nos vieux amis ? Comment se permet-on un comportement qui serait considéré comme irrespectueux en France ? Selon Fae, cela s’expliquerait par le fait que, parfois, la relation avec cette personne n’est pas assez approfondie et que cette attitude n’aura donc aucune répercussion amicale importante.


La solitude ne se combat pas par le nombre d’amis

Être entouré(e) ne signifie pas que la solitude nous est inconnue. « La qualité prime sur la quantité » prend alors tout son sens et l’on conçoit que certaines relations sont loin d’être satisfaisantes. L’amitié prend du temps et consiste à être entendu par une personne qui nous comprend et connaît notre histoire. Nos proches sont les seul(e)s à saisir les nuances de nos sentiments et l’intégralité de nos expériences. Et donc, à appréhender nos réactions et comportements dans une situation donnée.

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A cela s’ajoute notre paresse sociale grandissante, qui restreint les interactions nécessaires à notre bonheur. Car réseaux sociaux et messages écrits ne constituent pas une connexion amicale suffisante. Surtout si l’on sait que seulement 30 % de ce que nous exprimons se fait grâce aux mots – le reste étant transmis par le ton de voix, l’expression faciale et le langage corporel. Or, il a été prouvé que le manque d’interactions sociales a des conséquences significatives sur notre santé et notre longévité.
 

Fae a fini notre échange par l’histoire du professeur et du bocal - le bocal n’étant rempli qu’en ajoutant des pierres, du gravier et du sable, dans cet ordre précis. C’est une métaphore connue sur la gestion des priorités et Fae me rappelle que l’une des pierres correspond à l’amitié. 

Dès la fin de l’entretien avec Fae, j’ai immédiatement mis ses conseils en pratique avec un appel vidéo de deux heures vers la France et une sortie de dernière minute – bravant la tempête – proposée par une relation amicale que je veux cultiver sur Saïgon. Et devinez quoi ? J’ai ressenti une immense satisfaction !

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