La France et le Vietnam, le Vietnam et la France, c’est toute une histoire, une histoire qui a inspiré et qui continue à inspirer nombre d’écrivains, dont les œuvres restent à ce jour empreintes d’une évidente nostalgie.
Cette nostalgie, d’aucuns seront tentés de la qualifier de malsaine… Peu importe, car les œuvres, elles, sont bel et bien là et elles méritent beaucoup mieux, beaucoup plus qu’un jugement à l’emporte-pièce.
En voici donc quelques-unes qui feront, à n’en pas douter, les délices des vietnamophiles impénitents que nous sommes:
1 - Les civilisés (Claude Farrère - 1905 - Kailash)
À la fin du xixe siècle, Raymond Mévil, médecin, Cap'taine Torral, ingénieur, et Jacques-Gaston de Civadière, comte de Fierce et officier de marine, profitent de la vie à Saïgon, capitale de la colonie française de Cochinchine. Ils profitent de leurs statuts de Français colonisateurs pour se livrer à la débauche, au stupre, à la fornication et à la consommation d'opium dans les différents quartiers, rues et maisons de la ville.
Alors que Torral apprécie cette vie, Mévil et Fierce remettent en cause leurs attitudes et comportements en cherchant l'amour, le véritable amour.
Ce portrait guère flatteur de la colonie a assuré le succès du livre, en même temps que la colère des coloniaux, furieux de se voir ainsi caricaturés ! En fait, Farrère dévoilait, en l’exagérant sans doute, l’écart entre l’image projetée par l’idéologie officielle et la réalité d’une certaine société coloniale.
Le roman a en tout cas décroché le très prestigieux prix Goncourt, dès sa parution en 1905.
2 - Sur la route mandarine (Roland Dorgelès - 1925 - Kailash)
L'itinéraire de Roland Dorgelès commence à Hanoï, d'où il se rend ensuite à la fameuse baie d'Ha Long où il visite plusieurs îles. Son voyage ne peut éviter les lieux déjà très touristiques que sont la ville impériale de Hué et les temples d'Angkor. Mais Roland Dorgelès sort des sentiers battus en s'intéressant aux aspects modernes de l'Indochine : il visite ainsi les mines de Hon Gay (Ha Long) et la « ville chinoise » de Cholon, où il assiste aux festivités du Têt.
La fin du récit est consacrée aux Moï, ethnie des Hauts Plateaux du Centre, dont la rencontre a bouleversé Roland Dorgelès.
Un humour souvent acerbe, qui côtoie les descriptions précises. Roland Dorgelès piétine les clichés et ne s'attendrit pas le moins du monde sur le glorieux passé colonial. Cette Indochine, transfigurée par un demi-siècle d'occupation, bouleversée par nos découvertes, offre tout autant d'imprévus que « l'Extrême-Orient momifié dans sa robe de soie jaune... »
3 - La nuit indochinoise (Jean Hougron - 1953 - Robert Laffont)
Le premier volume comporte 3 romans : Tu récolteras la tempête – Soleil au ventre – Rage blanche.
Tout tourne autour d’un français exilé au Laos, un médecin exerçant sous un nom d’emprunt, et qui a dû partir de France après un meurtre.
L’homme ne manque pas d’intérêt, aussi bien au physique qu’au moral. C’est un être désabusé qui traîne un lourd passé qu’il veut oublier dans une quête désespérée.
Le second volume comporte quant à lui quatre romans : Mort en fraude – Les Portes de l’aventure – les Asiates – La terre du Barbare.
Nous retrouvons les mêmes héros, révoltés, pathétiques et parfois cruels, traversant leur propre histoire, qu’ils soient Européens ou Indochinois, avec la même rage de vivre.
Rien ne prédestinait Jean Hougron à partir pour l'Indochine, en juin 1947, où il est d’abord engagé par une maison d'import-export pour vendre des boîtes de lait concentré, des sardines à la tomate et des bouteilles de champagne en grande quantité. Fasciné par Saïgon qui explose sous le poids des réfugiés et profite des affaires florissantes que la France en guerre lui permet d'entretenir, animé d'une curiosité certaine pour les grands espaces dont il entend sans cesse parler et las d'une vie de bureau somme toute assez banale, il décide d'accompagner un ami jusqu'à la frontière thaïlandaise à bord d'un camion chargé de cotonnades et de quincaillerie. L'aventure commence : elle va durer quelques années.
Dire de Jean Hougron qu’il n’était pas en odeur de sainteté auprès des autorités française est un doux euphémisme… L’Académie française, elle, se montrera plus indulgente, en lui accordant son grand prix du roman.
4 - Les portes d’Annam (François-Xavier Landrin – 2011 – les éditions du triomphe)
Juste avant la Révolution française, le roi Louis XVI signe un traité d'aide et d'assistance au roi de Cochinchine tandis que le jeune breton Antoine de Kerguildo termine sa formation d'officier ingénieur à l'École Royale du Génie. À l'autre bout du monde, un évêque missionnaire français, Pierre Pigneaux, se bat pour la survie des chrétiens de Cochinchine pris dans la tourmente d'une guerre civile d'une rare violence.
Autour des destins croisés de ces deux Français, destins qui les mèneront de la Bretagne jusqu'à l'Annam en passant par les salons de Versailles et les Indes, va se construire une formidable épopée à laquelle prendront part de jeunes officiers français fuyant eux aussi la Révolution française. De cette aventure, émergera un pays pacifié, unifié et rénové: le Viêt Nam.
C’est une page méconnue de l’Histoire que nous fait revivre François-Xavier Landrin, médecin de son état, avec un rare brio. Un roman historique, extraordinairement bien documenté, absolument captivant de la première à la dernière page.
5 - Métisse blanche (Kim Lefevre - 1989 - L’aube)
La petite Kim naît à la veille de la Seconde Guerre mondiale, fruits des amours illégitimes d’une Tonkinoise et d’un militaire français qui l’abandonne. Une naissance qui marque la mère du sceau de l’infamie de la transgression raciale et de la collaboration avec le colonisateur, et qui contraindra la petite fille puis l’adolescente à surmonter le triple rejet d’être née fille, bâtarde et métisse.
Un récit sensible et poignant, qui ne tombe jamais dans la mièvrerie et qui nous éclaire sur la condition des eurasiens pris dans la tourmente de l’Histoire.
6 - L’amant (Marguerite Duras - 1984 – Les éditions de minuit)
Roman autobiographique, L'amant est l'un des récits d'initiation amoureuse parmi les plus troublants qui soit. Dans une langue pure comme son sourire de jeune fille, Marguerite Duras confie sa rencontre et sa relation avec un rentier chinois de Saïgon.
Dans l'Indochine coloniale de l'entre deux-guerres, la relation amoureuse entre cette jeune bachelière et cet homme déjà mûr est sublimée par un environnement extraordinaire. Dès leur rencontre sur le bac qui traverse le Mékong, on ressent l'attirance physique et la relation passionnée qui s'ensuivra, à la fois rapide comme le mouvement permanent propre au sud de l'Asie et lente comme les eaux d'un fleuve de désir.
Pour beaucoup de gens, la littérature indochinoise (si tant est que l’on puisse parler de littérature « indochinoise ») se résume à L’amant.
Le fait est que Marguerite Duras arrive à nous restituer les parfums, les sons et les odeurs par la seule magie des mots, avec musicalité et sensualité.
Prix Goncourt en 1984, année de sa parution, L’amant est sans aucun doute l’une des œuvres les plus célèbres de Marguerite Duras. Et il l’était déjà, avant que Jean-Jacques Annaud l’adapte au cinéma...
7 - L’éveil (Line Papin - 2016 - Stock)
« Je dois y retourner, c'est insupportable de le savoir ici, lui qui marche et vit non loin. Non, il ne s'agit pas encore de l'éveil, du vrai, c'est mon attention seule qu'il éveille pour l'instant, et c'est en dessous, plus loin, que nous allons éclore et tomber et rouler. Je suis à l'orée de l'éveil »
La scène est à Hanoï, au Vietnam, dans les ruelles surchauffées. Cela se passe aujourd'hui, mais ce pourrait être il y a longtemps.
C'est une histoire d'amour, dont les personnages sont deux garçons et deux filles, dont les voix s'entrechoquent. C'est une histoire d'amour, douloureuse et sensuelle, où les héroïnes ne font que traverser le tumulte de la ville, et se cachent dans l'ombre protectrice des chambres.
Une œuvre déjà magistrale, dont on a peine à croire qu’elle celle d’une jeune femme d’à peine plus de vingt ans. Une - très - grande romancière est née !