Eurasien réfugié en France, Gérard Addat a grandi à Saigon avant de connaitre le déracinement et l'arrivée dans un pays inconnu. Aujourd'hui chanteur-auteur-compositeur, Gérard utilise sa notoriété pour lancer des « avis de recherche » via divers médias pour permettre aux Eurasiens de retrouver leurs familles disséminées un peu partout en France et en Europe.
Lepetitjournal.com/Hochiminhville : Gérard, vous êtes chanteur-auteur-compositeur et particulièrement connu pour votre chanson "Mes souvenirs de Saïgon". Justement, racontez-nous vos souvenirs d'enfance au Vietnam.
Gérard Addat : Ainsi que je l'indique dans ma chanson, Saïgon est la ville de ma tendre enfance car j'ai grandi ici dans une douce insouciance, près du quartier très français de Dakao, très animé avec ses salles de cinéma que j'aimais fréquenter, ses restaurants, ses dancings... et où vivaient les deux grandes communautés française et eurasienne. Je me souviens aussi de ce Cercle Sportif des Armées pas très loin où chaque week end, des militaires Français et Vietnamiens s'opposaient sur le terrain de football devant un public nombreux.
Une caserne de militaires se trouvant à proximité de ma maison dans mon quartier, il y avait de temps en temps des fusillades, des attaques à la mitrailleuse, aux mortiers... c'était terrifiant! Heureusement que j'ai vécu des moments heureux avec mes voisins, mes petits copains Français, Eurasiens, Vietnamiens, les David et Scarwell qui sont mes petits cousins... On allait ensemble au cinéma, dans les fêtes du Têt dans les familles, à la piscine au Cap St Jacques (Vung Tau), à Nha Trang.... En tant que scout, j'ai eu la joie de visiter plusieurs endroits dans le sud et dans le delta du Mékong, dans le centre à Tourane (Danang).
Nous vivions bien tous ensemble bien que par moments, je participais à des bagarres de quartiers contre des gamins anti-Français. J'aimais bien me rendre également dans le quartier chinois très bruyant de Cholon. C'était pourtant la guerre en Indochine mais la vie continuait tout de même.
Bon élève à l'Institut Taberd, une école catholique des frères, je me rappelle encore quand je chantais sur scène à la distribution des prix en plein air, devant tous les élèves et leurs familles réunis chaque année à la fin de l'année scolaire. Là encore, j'étais fourré dans les bagarres qui éclataient contre des gamins anti-Français, de temps en temps dans la cour de récréation de l'école.
Il y avait tout près, la belle cathédrale de Notre Dame où j'ai été baptisé et la magnifique Rue Catinat (Dong Khoi) très chic et considérée comme les Champs-Elysées de l'Extrême-Orient. Ma tante quand elle venait de Phnom Penh (au Cambodge) nous rendre visite, ne manquait jamais de nous emmener dans les librairies, au cinéma et à la pâtisserie pour y déguster des gâteaux à la crème Chantilly dans cette belle avenue.
Vous avez été rapatrié en France en 1955, comment avez-vous vécu ce déracinement et la découverte de ce nouveau pays? Quelles furent vos premières impressions?
Le déracinement a été cruel et douloureux pour mon frère et moi qui étions en pension dans un collège à Cadillac, une ville située à 35 km de Bordeaux où vivait notre mère dans une famille. Les brimades que nous avions reçues en pension avaient continué encore en région bordelaise où nous avions été placés, pendant nos vacances scolaires dans une famille ayant des problèmes sociaux. Après des vacances traumatisantes, direction vers la Touraine où nous avions été mis dans un foyer d'Eurasiens de la Foefi à Vouvray, puis des mois plus tard, nous avions encore été séparés dans d'autre foyers, mon frère à Semblançay et moi à Tours.
En vivant ensemble dans ces foyers entre Eurasiens, nous formions une grande famille arrivant à bien accepter notre sort malgré des périodes difficiles par moments auprès des autochtones. Heureusement les années passant, beaucoup s'en sont bien sortis comme médecins, dentistes, entrepreneurs, directeurs...
Gérard Addat au foyer FOEFI de Vouvray (près de Tours)
Mes premières impressions, une fois débarquant du bateau à Marseille, furent l'émerveillement en découvrant le port, la Cannebière, la magnifique basilique de Notre Dame de la Garde surplombant la ville, les gens s'exprimant avec un accent chantant.... mais très malheureux avec le froid glacial qui frappait toute la France cette année-là!
Votre père était alors prisonnier du Viet Minh. Comment avez-vous réussi à le retrouver?
Après tant d'années de recherche, l'occasion m'est venue quand j'ai collaboré pendant 5 ans à Paris, avec l'agence d'Etat "Vietnamtourism" qui représente l'Office National du Tourisme du Vietnam en France et en Europe, sous la tutelle du Ministère de Tourisme. J'accompagnais alors le Directeur à travers quelques pays en tant qu'interprète, étant polyglotte, afin de développer des circuits touristiques au Vietnam, auprès des opérateurs, d'agences de voyages...
Envoyé en missions pour des stages touristiques au Vietnam, aux bons soins de "Vietnamtourism" à Ho Chi Minh Ville, j'en ai profité pour demander de l'aide. Par le biais du bouche à oreille au Vietnam comme en France également, j'ai fini par recevoir un jour un coup de fil d'une cousine que je découvrais à Paris. Elle m'a donné les coordonnées de mon père vivant... en Savoie, je l'ai appelé et il y a eu des flots de larmes de joie et rapidement on s'est retrouvés avec ma fille Marie-Elisabeth à Albertville. Il nous croyait morts au Vietnam alors qu'il avait été fait prisonnier et que nous le pensions mort au combat.... Les retrouvailles ont été chargées de grande émotion et de tendresse. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer dans la vie car l'espoir fait vivre!
Retrouvailles à Albertville
Vous vous êtes donné pour mission de lancer des avis de recherches, pour permettre aux Eurasiens de retrouver des membres de leur famille. Pourquoi et comment procédez-vous?
Pour répondre à votre question que je trouve intéressante, je le fais parce que je connais des tas d'Eurasiens autour de moi et quelques-uns au sein de notre Association-Foefi (foefi.net), des Amérasiens... qui recherchent encore un parent, un oncle, une tante, une mère, un père, de la famille... perdus de vue pendant les guerres d'Indochine et du Vietnam respectivement. Comme j'ai pu retrouver mon père perdu de vue, vu la joie immense qui m'a envahi avec mes enfants et mes proches qui l'ont partagée, j'ai décidé de donner un peu de mon temps, en tant qu'artiste, en lançant cet avis de recherche pour tous ces gens-là. Et ce grâce à mes interviews auprès des journalistes dans la Presse, la Radio et la TV en France ainsi qu'à l'étranger (en Espagne, en Finlande, au Portugal, au Vietnam, en Afrique...). N'oublions jamais tous ces tirailleurs Sénégalais qui ont servi la France en Indochine. Ils ont connu des Vietnamiennes, ont eu des enfants... eux aussi se trouvent dans la même situation.
Il y a aussi cette belle émission télévisée "Nhu Chu Hê Co Cuôc Chia Ly..." (Perdu de vue) animée par Madame Thu Uyen sur la chaîne VTV, dans laquelle j'ai été interviewé et interprété "Mes souvenirs de Saïgon". Dans cette chanson, je raconte en grande partie toutes ces tragédies, ces souffrances pendant tant d'années de guerres interminables, mais également la renaissance de tout un peuple combatif, rempli de fierté et d'espoir en l'avenir.
En tant que "déraciné", quel regard portez-vous sur les réfugiés qui arrivent en Europe en ce moment?
Toujours cette misère du monde qui continue de sévir! Les premiers "Boat People" fuyaient la guerre du Vietnam. Au regard de l'actualité, tous ces réfugiés du Moyen-Orient, d'Afrique... qui arrivent en Europe vivent le même cauchemar, le même scénario plus de 40 ans après. Sauf que la situation économique n'est plus la même, la crise est mondiale et les gouvernements sont obligés de prendre des mesures drastiques et urgentes. D'autant plus que personne ne pouvait s'attendre à une telle situation catastrophique, l'Europe n'y étant pas préparée!
Quelles relations entretenez-vous avec votre pays d'origine le Vietnam?
J'entretiens d'excellentes relations avec le Vietnam, en particulier avec des amis Vietnamiens, quelques Eurasiens de l'Association-Foefi venus s'installer ici et avec des journalistes Vietnamiens et étrangers qui me tiennent au courant des actualités. En France, je peux suivre aussi à la télé ce qui se passe au Vietnam sur la chaîne "Net Viet".
Par ailleurs, j'effectue de temps en temps de longs séjours au Vietnam et " it keeps me in a good shape" à tous les points de vue. Par contre, je n'ai plus de famille ici près du quartier Dakao où j'habitais, ni dans le pays. Je n'envisage pas non plus de venir vivre ici pour maintes raisons personnelles et puis la question de mentalité se pose également. J'ai construit ma vie en France, mes enfants et mes proches y vivent, mais si j'avais été plus jeune... peut-être que je l'aurais fait, who knows! Cependant, je sais que ce pays, ma terre natale, tiendra toujours une grande place toute ma vie dans mon coeur.
Gérard Addat & Vu Kim, animatrice à Radio VOH (Vietnam)
Vous êtes également un passionné de voyages. Quel est le pays qui vous a le plus touché? Au Vietnam, quel endroit endroit préférez-vous?
En tant que multilinguiste, j'aime en principe toutes les cultures et par conséquent, je me sens "citoyen du monde".
Chaque pays dans lequel j'ai vécu de par le monde, brille par ses couleurs, sa beauté, son mode de vie, sa culture, son dépaysement... et cela m'a beaucoup enchanté! Néanmoins, le pays qui m'a le plus touché est l'Angleterre, surtout à Londres où j'ai passé plus de 10 ans de ma vie. Bien que j'aie aussi résidé en Ecosse et au Pays de Galles en Grande-Bretagne. Ma carrière de chanteur professionnel a démarré depuis Londres, à la Radio, la Presse et à la Télévision (Thames TV et New Music TV) et dans de nombreux concerts en français et en anglais, accompagné par des musiciens Anglais. J'ai pu parler avec les Beatles, les Rolling Stones, les Animals, Bonnie Tyler, Barry Ryan, Mungo Jerry, The Buggles, Sacha Distel, Charles Aznavour... dans des clubs et salles de spectacles à Londres. Des souvenirs inoubliables!
Bien qu'ayant séjourné dans tout le pays, l'endroit que je préfère au Vietnam se situe du côté de mon ancienne école, l'Institut Taberd, tout près de la belle place de la cathédrale de Notre Dame et ses magnifiques alentours, dans le voisinage de la Rue Dong Khoi (ex-Rue Catinat) où j'aimais tant flâner. Oh oui, comme je l'interprète dans ma chanson : "Mes souvenirs me ramènent à Saïgon, à Dakao, à Cholon, au Vietnam"!
Mais je garderai toujours toute ma vie, au fond de moi dans mon coeur, des images, des souvenirs enfouis, des moments nostalgiques et heureux de mon enfance à Saïgon.... la Perle de tout l'Extrême-Orient!
Propos recueillis par Déborah Newton (lepetitjournal.com/Hochiminhville) 10 Mai 2016