Dans son roman Babylift, Marie Bardet évoque, à travers l’histoire tragique d’un frère et d’une sœur adoptés en France, l’opération américaine controversée d’évacuation de 3 000 orphelins dans les derniers jours de la guerre du Vietnam.
« Les doigts de May remontaient à présent le long de son poignet. Après la catastrophe, ses chairs avaient été longues à cicatriser. C’était une mauvaise brûlure, profonde, suppurante. Sean en avait gardé une trace claire au creux de son avant-bras et la tache avait grandi avec lui, prenant des formes incertaines, organiques. L’été de ses 15 ans, on aurait dit une feuille de hêtre. Elle palpitait doucement, prise entre les battements enfiévrés de son pouls et les lèvres de May, veloutées, frémissantes. »
Dans ces quelques lignes évocatrices tirées de son dernier roman, Marie Bardet relate les séquelles, tantôt physiques tantôt psychologiques, laissées sur les orphelins évacués précipitamment du Vietnam en avril 1975. Une histoire méconnue en France que l’auteure a voulu raconter en mêlant fiction et réalité.
Quelles sont les grandes lignes de votre parcours ?
Diplômée de l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA) en 1986, titulaire de la carte de presse en 1987, j’ai été rédactrice-reporter et réalisatrice à France Télévision et journaliste dans la presse magazine de société jusqu’en 2010. J’ai intégré ce métier très jeune pour combattre ma timidité en allant au-devant des autres. Mon 1er roman À la droite du père est paru en 2018 aux éditions Emmanuelle Collas. Pour Babylift, j’ai obtenu une bourse de création d’Occitanie Livre & Lecture qui m’a permis de voyager un mois au Vietnam début 2020.
Qu'est-ce que l'opération Babylift ? Pourquoi avoir choisi d'écrire sur ce sujet ?
Organisé par les États-Unis début avril 1975 peu avant la victoire communiste, le pont aérien Babylift a consisté en une opération d’évacuation massive d’enfants des orphelinats du Sud-Vietnam en vue de leur adoption à l’étranger, principalement en Amérique. Parmi les 3 000 bébés et enfants Babylift adoptés de façon irréversible par des familles américaines, australiennes, canadiennes, françaises, etc. dans les jours suivant leur arrivée, moins de la moitié se sont révélés être réellement orphelins. La pression des agences américaines d’adoption, l’urgence de l’Amérique à redorer son blason en remportant, faute de mieux, la « guerre des enfants », le désir de certaines familles vietnamiennes d’envoyer leurs enfants au loin, ont pesé sur cette opération militaro-humanitaire que le gouvernement vietnamien considère encore à ce jour, non sans raison, comme un « kidnapping massif ».
Alors que 120 enfants Babylift ont été adoptés en France en 1975, dans l’Hexagone, l’événement a été occulté, les archives détruites. L’essentiel de la littérature sur cette opération est américaine et présente le Babylift sans nuance comme un sauvetage humanitaire. À travers la vie tourmentée des jumeaux métis Sean et May, rescapés du crash du vol inaugural de l’Opération et adoptés en France, je voulais remettre en mémoire cet épisode oublié de l’Histoire contemporaine et montrer les conséquences du déracinement identitaire dont souffrent de nombreux enfants adoptés à l’étranger.
Quelle est l'intrigue de votre livre ?
Recherché pour meurtre, Sean, adolescent de 17 ans, est en fuite. Il aime passionnément May, sa sœur jumelle, rescapée comme lui d’un terrible accident d’avion au Vietnam à l’âge de 2 ans. Le village français où les enfants adoptés ont grandi est sous le choc. La presse parle de folie criminelle. Pour défendre Sean, l’avocat commis d’office déterre une affaire jamais élucidée qui change à jamais la vie de son jeune client. May se lance alors dans une quête vertigineuse des origines en compagnie de Julien, ancien militant pacifiste. Sur les routes du Vietnam, leur périple les mènera de révélations en révélations au cœur de l’amour d’une mère.
Quelle part de vérité et quelle part de fiction ?
Sean et May sont des personnages de fiction, mais ce qu’ils ont vécu en tant qu’orphelins de guerre vietnamiens, puis en tant que rescapés de la catastrophe aérienne du Galaxy C-5A (1er avion mobilisé pour le pont aérien) et en tant qu’adoptés dans un village français au milieu des années 1970 renvoie à des histoires vécues dont j’ai pu avoir connaissance à travers des témoignages directs et indirects.
Comment s'est passé le processus d'écriture ?
Le proverbe vietnamien que j’ai placé en exergue de mon roman, « Si tu vas trop souvent dans la nuit, tu pourrais y voir des fantômes », résume assez bien ce que j’ai traversé dans l’écriture. Les faits dont je me suis inspirée se sont déroulés il y a 46 ans, le Vietnam s’est complètement transformé, je n’ai pas pu y rencontrer de témoins directs car le sujet reste tabou et douloureux pour les mères d’enfants « disparus », aussi m’en suis-je remise à la puissance de l’imaginaire après un important travail de documentation et une immersion d’un mois dans le pays.
Avez-vous d'autres projets d'écriture ?
Dans mes deux premiers romans, j’ai exploré le poids des héritages familiaux à travers des destins d’enfants pris dans la tourmente de deux guerres majeures du XXe siècle, la Seconde Guerre mondiale et la guerre américaine du Vietnam. Aujourd’hui, j’ignore où va me mener mon prochain roman, mais le champ des possibles qui s’offre à moi constitue en soi un voyage fabuleux.
Où peut-on se procurer votre roman ?
En France, les lecteurs et lectrices le trouveront chez leur libraire habituel et au Vietnam, sur commande dans les librairies francophones. Babylift existe aussi en version e-book sur les plateformes dédiées.