Faut-il apprendre la langue de son pays d’accueil ? La question, qui semble rhétorique, cache en réalité de nombreuses subtilités. Des habitués de l’expatriation nous racontent leurs difficultés, leurs réussites, leurs accès de flemme et coups de gueule aussi… à bâtons rompus.
Noircir consciencieusement son cahier d’idéogrammes, se tromper d’un trait, puis tout recommencer… C’est ce qu’a fait Marie, mois après mois, à son arrivée à Pékin. « J’ai pris le challenge de l’apprentissage du chinois avec enthousiasme. J’ai bossé d'arrache-pied, avec le bonheur de pouvoir très vite pratiquer mes acquis au marché, dans le taxi, partout. On se sent beaucoup plus à l'aise partout en Chine si l'on peut communiquer ». De première de la classe dans l’Empire du Milieu, Marie dégringole au rang de cancre au pays du sourire. « Le thaï m'a semblé insurmontable. J'avais peu d'expériences concluantes dans mon entourage et j'ai laissé passer une occasion de mieux connaitre cette culture en ne l'apprenant pas », raconte-t-elle.
Si l’apprentissage de la langue locale semble, en théorie, une condition sine qua non à tout projet d’expatriation, la pratique révèle des trajectoires complexes. « Personne ne prend la décision par simple conviction », affirme Olivier, passé par l’Angleterre, l’Allemagne et l’Israël, avant d’atterrir au Chili. « C'est un choix qui prend en compte les conditions de l'expatriation, l'intérêt pour la destination et la personnalité de l'expatrié ».
Pourquoi on s’y met (ou pas) ?
« Je me suis expatriée plusieurs fois et bizarrement, mon apprentissage de la langue locale a varié selon les pays, en fonction de ma flemme ou de la nécessité que j'avais de m'y mettre pour gagner en autonomie lors de mon séjour », analyse Marie.
Lorsque Benoit arrive au Laos, un constat s’impose : dans sa vie personnelle et professionnelle, il ne pourra faire l’impasse sur le laotien. « Mon entourage était exclusivement composé de Laotiens et je voulais m’intégrer. Je n’avais pas envie d’être le mec pénible à cause de qui tout le monde, en soirée, doit parler anglais ». Donnant des cours de français à des étudiants débutants, Benoit réalise que le laotien est la seule langue commune possible. « Au fur et à mesure, j’étoffais mon vocabulaire grâce aux élèves et je pouvais l’utiliser dans la rue », se souvient-il.
« Au Japon, pays où l'anglais est loin d'être roi, la barrière de la langue frappe à la moindre occasion : le menu d'un restaurant, une carte des transports dans l'arrière-pays, un courrier des impôts... Déchiffrer devient une obligation quotidienne », remarque Julien, expatrié à Tokyo. Le japonais revêt d’autant plus un caractère obligatoire qu’il est requis à l’embauche. « Nombreux sont mes amis non bilingues qui se heurtent à un non sans équivoque dans le monde du travail », poursuit-il.
Après avoir appris l’indonésien et le mandarin en expatriation, Valérie gagne la Belgique, sans se douter qu’il lui faut parler flamand pour trouver un travail. « J’avoue que ce n’est pas une langue qui m'intéresse et je n’ai pas fait l'effort. Je ne restais que trois ans et presque personne ne parle flamand dans le monde », dit-elle, pour justifier sa décision.
En classe ou dans la rue ?
Where is Bryan ? In the kitchen, on l’a répété 1000 fois ! Les cours de langue quand on est adulte : tout un programme. On rit autant qu’on désespère. Or, pour certains, ils restent un passage obligé en vue d’être opérationnel rapidement. « J’ai décidé de prendre des cours d'indonésien, qui n'est pas une langue très difficile à apprendre, en tout cas au début. Très vite, on peut se débrouiller et cela change vraiment notre quotidien. C’est aussi l’occasion d’échanger avec les enseignants », explique Valérie. Des enseignants qui laissent parfois des souvenirs impérissables. « Mes années à Istanbul ont été marquées par la rencontre avec une excellente professeure de turc. Pédagogue, passionnante, drôle, c'est devenue au fil des rencontre une amie et mes progrès ont été assez rapides. Et cette langue assez complexe, agglutinante, avec déclinaisons, s'est finalement révélée assez ludique à apprendre », expose Marie.
Pour Aurélia, expatriée aux Pays-Bas, « prendre des cours de néerlandais a permis de me construire un cercle de relations venues des quatre coins du monde ». Ces rencontres sont, en général, d’autant plus importantes pour les conjoints-suiveurs qui peuvent connaître l’isolement.
Quant à Benoit, c’est dans la rue et auprès de ses amis locaux qu’il a appris le laotien et le thaï. Il en a gagné une compréhension et expression d’un très bon niveau, mais déplore aujourd’hui de ne pas pouvoir écrire ni lire correctement, après onze ans passés dans la région.
Comprendre le pays et sa culture
« Apprendre la langue, c’est avoir accès à tout un tas d'informations : les évènements, les bons plans, suivre l’actualité locale », expose Aurélia.
« Ce qui m'intéresse le plus est le contact avec les locaux, connaître leur culture et leur manière de penser - objectifs qui seraient très durs à atteindre sans parler leur langue », affirme Olivier. « Cela change tout dans la compréhension du pays et de sa culture et dans les rapports aux habitants, qui sont toujours ravis de voir que nous nous intéressons à eux », abonde Valérie.
Un sourire, un éclat de rire, une réplique qui fuse et un dialogue qui s’installe. L’expérience montre que maitriser, ne serait-ce que quelques phrases de la langue locale, change du tout au tout les rapports humains. « Les Chinois se révèlent très curieux des Occidentaux et souvent, au delà du marchandage des prix par exemple, la conversation déviait sur la famille, notre style de vie... Beaucoup de très bons moments partagés grâce à cela », apprécie Marie.
Si la langue est un prérequis à la compréhension d’une culture, elle n’est évidemment pas suffisante. « L’investissement doit être global car en plus de la langue, il faut maitriser les codes, les références culturelles, écouter la musique, regarder la télé, discuter sans cesse », analyse Benoit, en faisant référence au thaï, langue très imagée.
Une question de respect
« En Thaïlande, il y a tellement de facilités avec l’anglais que les gens deviennent paresseux. Certains expatriés restent des années sans même savoir dire bonjour ni merci : c’est vraiment irrespectueux » déplore Benoit. « Adopter la langue des locaux (même en la bafouillant) est un signe de respect pour eux et une manière d'obtenir le leur », corrobore Olivier.
« Il faut simplement s'armer de courage et affronter un système d'écriture qui décourage autant qu'il fascine. Mais l'effort en vaut la chandelle : l'intégration n'en sera que plus belle », conclut Julien. Le message est clair : en cette période de rentrée, laissons la flemme au placard, sortons l’un de ces jolis carnets achetés au marché et… au boulot !