Lorsque deux personnes se marient, elles se soumettent à ce que l’on appelle « un régime matrimonial ». Il s’agit de l’ensemble des dispositions légales ou conventionnelles qui règlent les rapports patrimoniaux entre les époux.
La question de la détermination du régime matrimonial constitue un préalable pour le notaire lorsqu’il doit assister des époux à l’occasion d’une acquisition, de la création d’une société, d’une donation, etc… et également lorsqu’il est amené a régler la succession ou le divorce d’une personne mariée.
En l’absence de contrat de mariage, le régime matrimonial applicable aux époux est celui que prévoit le droit interne d’un Etat par défaut. En France, le code civil établit qu’il s’agit de la communauté de biens réduite aux acquêts.
Dans un contexte international, à défaut de contrat de mariage, il conviendra, pour le notaire français, de rechercher la loi qui déterminera quel est le régime matrimonial qui s’applique aux époux.
A cette occasion, il doit faire application :
- du droit commun pour les époux mariés avant le 1erseptembre 1992,
- de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial pour les couples mariés entre le 1erseptembre 1992 et la 28 janvier 2019,
- du règlement UE 2016/1103 pour ceux mariés à compter du 29 janvier 2019.
Force est de constater que les deux derniers corps de règles peuvent entraîner une mutabilité du régime matrimonial applicable aux époux, parfois à leur insu, ce qui peut préjudiciable aux époux.
- Qu’est-ce que la mutabilité automatique ?
Pour les époux mariés entre le 1erseptembre 1992 et la 28 janvier 2019, l’article 4 al.1 de la Convention de la Haye dispose que : « Si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage ».
On notera que la Convention de la Haye ne donne aucune définition de la notion de « résidence habituelle » et ne prévoit aucune durée particulière. Il s’agit avant tout d’une notion factuelle.
Il en résulte que la détermination de la loi applicable au régime matrimonial peut être délicate.
En outre, la convention prévoit un mécanisme qui peut s’avérer particulièrement dangereux pour les époux en ce qu’il entraîne une mutabilité automatique de la loi applicable et donc, éventuellement, du régime matrimonial lorsque la « nouvelle » loi connaît un autre régime légal que la loi jusqu’alors applicable.
Selon l’article 7 : « La loi compétente en vertu des dispositions de la Convention demeure applicable aussi longtemps que les époux n'en ont désigné aucune autre et même s'ils changent de nationalité ou de résidence habituelle. Toutefois, si les époux n'ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l'Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis :
- à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet Etat est leur nationalité commune, ou dès qu'ils acquièrent cette nationalité, ou
Exemple 1 : Mr A et Mme B, tous deux de nationalité française, se marient à Genève le 17 aout 1994 sans contrat alors qu’ils y résident de façon habituelle en Suisse. Ils sont donc soumis au régime légal de la participation aux acquêts de droit suisse. Le 4 avril 2008, les époux viennent s’installer à Paris en France où ils résident encore à ce jour. A compter de cette date le régime matrimonial mute en une communauté de bien réduite aux acquêts de droit français sans effet rétroactif. Se succèdent donc deux régimes.
Exemple 2 : Mr C de nationalité française et Mme D, de nationalité russe, se marient à Londres le 30 novembre 2005, ou ils résident de façon habituelle. Ils sont soumis au système britannique assimilé à un régime de séparation de biens. En septembre 2013, ils viennent s’installer en France où ils résident encore à ce jour. Le 17 décembre 2019, Mme D acquiert la nationalité française. A compter de cette date, les époux sont donc soumis au régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts de droit français.
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lorsque, après le mariage, cette résidence habituelle a duré plus de dix ans, ou
Exemple 3 : Mr E et Mme F, tous deux de nationalité française, se marient à Nantes le 1er juin 1996 sans contrat alors qu’ils résident façon habituelle en France. Ils sont donc soumis au régime légal de la communauté de bien réduite aux acquêts de droit français. Le 23 septembre 1997, les époux partent s’installer à Stockholm en Suède où ils résident encore à ce jour. A compter du 24 septembre 2007, le régime matrimonial des époux devient une communauté de biens différée de droit suédois.
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à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l'Etat de la nationalité commune uniquement en vertu de l'article 4, alinéa 2, chiffre 3. »
Exemple 4 : Mr G et Mme H, tous deux de nationalité algérienne, se sont mariés sans contrat à Alger en Algérie le 11 juillet 1994. Mr G travaillait à l’époque en France où il est revenu vivre après le mariage, alors que Mme H est restée en Algérie. Les époux à défaut de résidence commune, étaient soumis à la loi de leur nationalité commune: la loi algérienne et donc au système algérien assimilé à un régime de séparation de biens. Lorsque Mme H vient rejoindre son époux en France le 15 janvier 2000, les deux époux se trouvent automatiquement et immédiatement soumis à compter de cette date au régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts.
Il s’agit du mécanisme dit de la « mutabilité automatique » qui trouve application la plupart du temps à l’insu des époux. Il n’est d’ailleurs pas rare de s’apercevoir que les époux prennent conscience de cette mutabilité à l’occasion de leur divorce ou du décès de l’un d’entre eux.
La difficulté réside en ce que la loi applicable au régime matrimonial régit son fonctionnement, son changement et sa liquidation. Son domaine d’application est large. Il lui revient de déterminer la composition du patrimoine des époux, de définir l’attribution des pouvoirs des époux et de régir la preuve de l’appartenance des biens (durant le mariage et après sa dissolution).
Lorsque plusieurs lois nationales sont successivement applicables au régime matrimonial des époux, il convient de procéder à une liquidation tenant compte des régimes matrimoniaux successifs des époux.
Il faut alors raisonner « masse par masse », afin de distinguer les biens et dettes soumis à une loi nationale donnée, et ceux soumis à une autre, en vue de déterminer leur sort selon chacun des régimes matrimoniaux successifs.
Cette mutabilité automatique, n’ayant pas d’effet rétroactif, peut donc complexifier drastiquement et de façon non voulue la situation patrimoniale des époux.
- Quid pour les personnes mariés depuis le 29/01/2019 ?: attention à la mutabilité judiciaire !
Le régime matrimonial des époux mariés à compter du 29 janvier 2019 n’est plus déterminé par la convention de la Haye et ils ne sont donc plus exposés au risque de la mutabilité automatique qu’elle prévoit.
Ils sont désormais soumis aux dispositions du règlement UE 2016/1103 énoncé ci-dessus. Ce règlement ne prévoit pas de système de mutabilité automatique. On pourrait donc penser que les époux mariés dans le champ d’application de ce règlement sont désormais à l’abri de toute déconvenue.
Il n’en est, en fait, rien.
L’article 26, §1 du règlement1 prévoit trois critères hiérarchisés permettant de déterminer la loi applicable à l’aune de laquelle est déterminée le régime matrimonial du couple n’ayant pas désigné volontairement celle-ci.
En outre, le même article prévoit dans son §3 une clause d’exception. Cette clause précise qu’ à titre exceptionnel, la loi de la dernière résidence habituelle commune des époux peut être appliquée aux lieu et place de la loi de la première résidence commune, à quatre conditions :
- Seule l’autorité judiciaire compétente peut décider d’en faire application.
- Les époux ne doivent pas avoir conclu de convention matrimoniale (contrat de mariage) avant la date d’établissement de cette dernière résidence.
- Un des époux doit en faire la demande à l’autorité judiciaire compétente en matière de régime matrimonial.
- L’époux demandeur devra démontrer, cumulativement, que cette dernière résidence habituelle commune a duré une période « significativement plus longue » que la première résidence habituelle commune, et que les époux se sont fondés sur cette loi pour organiser leurs rapports patrimoniaux.
A l’heure actuelle, l’entrée en application du règlement européen sur les régimes matrimoniaux étant récente, il est difficile, faute de jurisprudence, d’appréhender quelle utilisation il sera fait de cette clause d’exception à l’occasion de contentieux pouvant opposer les époux. Il n’est pas plus aisé de savoir ce qui constituera une période « significativement plus longue » ou encore quels actions et actes seront considérés par le juge comme l’expression d’une volonté des époux d’organiser leur rapports patrimoniaux sous l’empire d’une loi ou d’une autre.
Le risque et l’aléa sont néanmoins présents et font planner sur les époux une certaine insécurité quant à la stabilité du régime matrimonial auquel ils pensent être soumis.
- Quel conseil peut-on donner à ces époux ?
Face à l’insécurité juridique qui découle du mécanisme de la mutabilité automatique prévue par la convention de la Haye du 14 mars 1978 applicable aux époux mariés sans contrat entre le 1erseptembre 1992 et le 28 janvier 2019, et à la mutabilité judiciaire induite par le règlement UE 2016/1103 qui concerne les époux mariés sans contrat à compter du 29 janvier 2019, il est fortement conseillé à ceux-ci de se rapprocher de leur notaire.
Celui-ci saura analyser leur situation, et leur proposer des solutions telle une convention matrimoniale prévoyant une désignation de loi applicable afin de leur apporter une plus grande sécurité quant à la permanence et à la stabilité du régime matrimonial ainsi choisi.
1Article 26 §1 du règlement UE 2016/1103 : 1. À défaut de convention sur le choix de la loi applicable conformément à l'article 22, la loi applicable au régime matrimonial est la loi de l'État: a) de la première résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage; ou, à défaut, b) de la nationalité commune des époux au moment de la célébration du mariage; ou, à défaut, c) avec lequel les époux ont ensemble les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage, compte tenu de toutes les circonstances. 2.(…)