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Jean Baubérot : « La France a toujours eu des difficultés à vivre la laïcité »

Portrait de Jean Baubérot, co-auteur du livre de poche "Parlons laïcité en 30 questions"Portrait de Jean Baubérot, co-auteur du livre de poche "Parlons laïcité en 30 questions"
Écrit par Anne-Claire Voss
Publié le 27 février 2022, mis à jour le 28 février 2022

À l’aube de l’élection présidentielle, la Documentation française publie un livre de poche, Parlons laïcité en 30 questions, co-écrit par l’historien français Jean Baubérot et l’auteure québécoise, Micheline Milot. L’ouvrage explique, en moins d’une centaine de pages, la définition de la laïcité. Il répond également aux questions pratiques des citoyens français. En quoi consiste la laïcité ? Quelles sont les libertés et interdictions qu’elle nous donne ? Dans quels contextes ? Pour lepetitjournal.com, Jean Baubérot revient sur ce guide essentiel.

 

La Laïcité en 30 questions, co-écrit par Jean-Baubérot et Micheline Milot

 

 

Vous publiez à l'aube de l'élection présidentielle Parlons laïcité en 30 questions, pourquoi ?

La période présidentielle est un moment favorable à ce type de parutions, mais pour ce livre, la logique est autre. La laïcité est une actualité permanente. La documentation française a alors trouvé nécessaire le renouvellement de cette série de livres mais sans rapport avec l’élection présidentielle (NDLR : un premier tome était paru en 2017). Cette collection est très intéressante et exigeante. Chaque question est traitée en deux pages. La première nous donne les principes essentiels, et l’autre apporte des précisions complémentaires. Nous essayons de résumer précisément ce que dit le droit, de préciser quelle est la philosophie politique qui sous-tend ce droit et aussi ce que peut nous apprendre la riche histoire de la laïcité en France.

 

De plus, écrire avec Micheline Milot permet un regard distancié de par ses origines québécoises. Son recul nous a permis d’être le plus factuel possible. Ce livre est un instrument à la disposition des enseignants, des citoyens, des acteurs de la vie politique, de tous ceux qui veulent autant connaître la réalité sociale que la réalité historique. Qu’est-ce que la laïcité au sein des écoles françaises ? Des hôpitaux ? De l’armée ?

 

 

 La mentalité française se veut être plus en opposition que pluraliste

 

Pourquoi le concept de laïcité fait-il tant débat en France ?

La France a toujours eu des difficultés à vivre la laïcité. Dans les années 1970-80 est arrivé ce que nous appelons l’Islam des familles. La France n’avait pas l’habitude de pluralité religieuse, bien que des protestants ou des juifs étaient présents. Elle a aussi vécu au 19e siècle avec la révolution un combat dualiste des idées affectant la stabilité politique, tantôt cléricale puis tantôt anticléricale. Cette construction engendre une mentalité française, encore présente, qui se veut donc plus en opposition que pluraliste. La colonisation/décolonisation de certains peuples musulmans et les attaques terroristes ont créé alors une forme de court-circuit au sein de la République. Ces faits sont régulièrement mélangés au sein des débats… Pour avancer concrètement, il faudrait séparer les différentes problématiques pour tenter d’isoler les discours extrémistes.

 

 

Les candidats d’extrême droite portent atteintes à cette laïcité

 

Certains candidats qui se proposent à l'élection présidentielle de 2022 pourraient remettre en question la laïcité ?

Si nous prenons la définition de la laïcité telle qu’elle a été écrite dans la Constitution française, la République est laïque et respecte toutes les croyances. Un État est neutre entre les différentes religions et convictions. Et selon moi, les candidats d’extrême droite portent atteintes à cette laïcité. Éric Zemmour propage un discours confondant l’Islam et l’Islamisme radical. Ce candidat évoque une laïcité qui ne correspond pas à une définition qu’aurait donnée le Conseil constitutionnel. Si des lois discriminantes font surface, cette institution doit normalement les censurer. Ce n’est pas un hasard si Éric Zemmour évoque la possible disparition du Conseil constitutionnel. Il sait que celui-ci est le garant de la liberté de conscience.

 

 

La laïcité pourrait devenir, dans ses extrêmes, une anti-religion

 

Dans quelles mesures la France pourrait-elle vivre sans la laïcité ?

La démocratie ne se définie pas seulement par le vote majoritaire, c’est aussi le respect de tous les individus et des minorités. Je pense que la France a absolument besoin de la laïcité pour vivre harmonieusement. C’est ce principe fondamental qui a stoppé toutes marches vers la guerre civile. La laïcité est un bien précieux et je ne pense pas que ce pays puisse vivre sans elle. L’auteur de la loi de 1905 (NDLR : loi de séparation de l’Église et de l’État), Aristide Briand, expliquait deux façons de l’attaquer. Une première consiste à explicitement dire ne pas en vouloir, et l’autre consiste à en faire un absolu. Finalement, elle se contredirait elle-même et pourrait devenir, dans ses extrêmes, une anti-religion. Ce serait combattre la laïcité de manière plus subtile mais tout aussi forte. Aristide Briand parlait également d’une « laïcité de sang froid ». Je crois que c’est cela qui est très important. Les affaires de consciences sont toujours très délicates, mais il ne faut pas faire d’amalgames.

 

Quel est l’avenir pour la laïcité en Europe ?

Jamais aucune société n’a été un idéal. C’est donc tout à fait normal que les vies sociale et politique ne soient pas toutes roses. Mais l’Europe, beaucoup plus que d’autres parties du monde, possède une démocratie et une laïcité permettant des libertés dont les Européens n’ont pas idée. Nous pouvons discuter, nous exprimer et débattre sans craindre la prison. L’Union européenne est un endroit où les libertés de conscience et d’expression sont, sans être des idéaux, bien respectées. La grande majorité des Européens sont attachés à cette conception. C’est d’ailleurs en partie grâce à cela que les terroristes n’ont pas atteint leur but.

 

Il faut continuer à faire preuve de sang froid et rendre nos sociétés les plus attirantes possible. Ce qui est difficile et toujours un peu étonnant, c’est d’imaginer quelqu’un prêt à mourir et espérer mieux dans l’au-delà plus que dans la vie présente. Et c’est là, à mon avis, le fracture culturelle avec le djihadisme. Nous ferions beaucoup pour la promotion de la laïcité si nous arrivions à faire en sorte qu’elle soit plus juste et avec un horizon de sens. Je crois que tous les combats qui donnent de l’espoir comme la défense de l’environnement, la promotion de la diversité, la promotion du pluralisme et de débats d’idées qualitatifs confortent la laïcité. De tous temps, il y a ces défis posés aux sociétés. Il y a un combat laïque à mener pour la liberté de conscience, d’expression, et aussi contre les inégalités sociales trop fortes qui mettraient les populations dans une situation de désespérance.

 

Quels sont vos futurs projets pour expliquer la laïcité ?

Je suis en train d’écrire une étude en trois volumes sur la loi de 1905. Deux livres sont déjà parus. Ces essais publiés à la maison des Sciences de l’Homme se nomment : La loi de 1905 n’aura pas lieu. J’y étudie les questions que posent la loi 1905. Elles ne sont pas étrangères à celles de notre temps. Encore aujourd’hui, savoir comment nos ancêtres ont réussi à pacifier une situation au bord de la guerre civile reste un sujet passionnant et d’actualité.

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