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Ajirapa Pradit: “Avec le Covid, Chiang Mai a l’opportunité de repenser son urbanisme"

Vue sur Chiang Mai à l'aubeVue sur Chiang Mai à l'aube
Pierre QUEFFELEC - Un certain nombre de projets de réflexions ont été entrepris sur l’urbanisme de Chiang Mai ces derniers temps et parmi les participants, Ajirapa Pradit estime que le Covid-19 offre une opportunité de repenser la ville en profondeur
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 23 août 2021, mis à jour le 30 août 2022

Pour la professeure Ajirapa Pradit, le meilleur moyen pour s’approprier une ville est de la parcourir à pied et le Covid-19 offre l’opportunité de rêver à un autre futur pour Chiang Mai.

En mai 2021, la municipalité de Chiang Mai a conduit un projet pilote pour rendre le centre-ville plus accessible aux cyclistes. La rue Ratchadamnoen, qui permet de relier la porte Thapae au Wat Phra Singh, avait été modifiée pour être à sens unique et ne comprendre plus qu’une seule voie, au lieu de deux. La deuxième bande de circulation a été aménagée avec d’une part des places de parking pour les voitures et une piste cyclable. 

Si le projet a été trop vite abandonné, il démontre néanmoins une volonté de la part des autorités de repenser le développement urbain de Chiang Mai comme en témoigne d’autres projets en cours tels que l’aménagement des abords du canal Mae Kha, l’enfouissement des câbles électriques du centre-ville et la construction d’un parc au bord de la rivière Ping et le projet, toujours en suspens, du site de l’ancienne prison de Chiang Mai.

Pour entrevoir ce que pourrait devenir Chiang Mai dans le futur, Lepetitjournal.com a rencontré la professeure Ajirapa Pradit pour évoquer les aménagements attendus de Chiang Mai, ses rêves de voir une ville où les gens se déplacent à pied et les opportunités qu’offre la crise du Covid-19 pour repenser les villes de demain. 

Ajirapa Pradit
Originaire de Chiang Mai, Ajirapa Pradit se définit avant tout comme une chercheuse indépendante sur les questions d'urbanisme. Photo Catherine Vanesse

Diplôme d’architecture de l’Université de Rajamangala et titulaire d’un master en design urbain et rural de l’université de Belfast en Irlande, ajarn Ajirapa est aujourd’hui conférencière, chercheuse indépendante et activiste sur les questions liées au développement urbain de Chiang Mai, elle fût également l'une des collaboratrices sur le projet pilote de piste cyclable rue Ratchadamnoen et intervient comme consultante sur le projet de l'ancienne prison de Chiang Mai. Un statut que la professeure de 34 ans apprécie puisqu’il lui permet à la fois de se joindre à certains projets indépendants, mais aussi de pouvoir interpeller les autorités.

Quels sont les projets de développements urbains actuellement en cours ou qui devraient être implémentés prochainement à Chiang Mai?

L’enfouissement des câbles électriques au niveau de la rue Ratchadamnoen devrait démarrer d’ici à l’année prochaine et s’étendre progressivement à l’ensemble du centre-ville. Cette initiative fait partie d’un plan national du gouvernement central. Avec la mise en souterrain des câbles, nous pouvons espérer gagner de la place et rêver à un aménagement des trottoirs sur lesquels il serait possible de marcher. 

Ensuite, il y a l’aménagement et le nettoyage du canal Mae Kha par le bureau d’architecte Jai Baan Studio. Ils ont déjà commencé avec la construction d’une ferme urbaine sur une ancienne décharge. Il reste à voir s’ils pourront continuer le développement de cette zone jusqu’au bout. (Le studio Jai Baan a pour vision de trouver des solutions en termes de logements, d’aménagement d’espaces verts et de durabilité pour les 2.500 familles pauvres qui vivent sur les rives du canal, NDLR). 

D’ici à cinq ans, j’espère que Chiang Mai se sera enfin dotée d’un système de tramway. Ils ont fini toutes les études de faisabilité, il ne reste plus qu’à démarrer sa construction et là c’est encore l’inconnue!

Il y a toujours le projet d’aménager le site de l’ancienne prison en parc public, cela fait déjà 7 ans que différentes organisations y travaillent. C’est un sujet compliqué parce qu’il y a tellement de personnes impliquées, il y a plusieurs propriétaires et des visions différentes sur le futur de ce lieu. 

Un nouveau parc avec un skate-park devrait voir le jour en face du marché aux fleurs sur les bords de la rivière Ping. 

 

Il semble y avoir un certain nombre d’incertitudes sur la mise en place de certains aménagements, quelles sont les difficultés ou les défis pour que ces différents projets voient le jour ?

Si on regarde la gestion de la ville, on peut clairement voir qu’il y a plusieurs niveaux avec d’une part le côté politique avec les maires et l'Organisation provinciale administrative (PAO) qui sont élus par des locaux et le gouverneur qui n’est pas élu, ni originaire de la province et souvent qui ne reste pas longtemps et voient Chiang Mai comme une ville agréable avant de prendre leur retraite! 

Ensuite, il y a différentes communautés. Chiang Mai compte 31 communautés, chacune avec leur chef. Il y a également plusieurs organisations. Actuellement mon travail est de recenser ces communautés et organisations, noter leurs idées d’aménagements et voir comment nous pouvons travailler avec les autorités sur certaines de ces idées. 

Un de ces exemples de travail conjoint est le projet pilote de piste cyclable sur la rue Ratchadamnoen. 

Un projet qui a rapidement été arrêté, pourquoi ?

Nous nous attendions à ce qu’il soit controversé, mais pas à ce point-là. C’est clair qu’il y avait des choses à améliorer au niveau de la signalisation ou même de la communication envers le public, mais il y a vraiment eu un déchaînement sur les réseaux sociaux et les politiciens ont cédé face à cette pression. À la base, la municipalité était prête à étendre cette phase de test pendant trois mois, mais pour cela, ils auraient dû affirmer leur position, peu importe les critiques. 

Ajirapa Pradit
Lors de la soirée de lancement du livre "Chiang Mai Creative Mapping", Ajirapa Pradit était revenu sur le projet de piste cyclable de la rue Ratchadamnoen et sur les défis pour faire de Chiang Mai une ville agréable pour les piétons et les cyclistes. Photo courtoisie Creative Chiang Mai

C’est un peu frustrant, de nombreux commentaires proviennent de personnes qui ne sont même pas allées sur place. Nous avons aussi constaté que la piste cyclable n’était pas utilisée que par les cyclistes, mais aussi par les coureurs, les skateurs, etc. C’est intéressant de voir comment le public s’approprie un lieu dès lors qu’on donne de la place, comment se développent de nouveaux styles de vie. 

De notre côté, nous avions fait une enquête auprès des habitants et commerçants de la rue Ratchadamnoen, dans l’ensemble, ils étaient satisfaits ou en tout cas, ils n’avaient pas d’objection à ce que la rue soit en sens unique. 

Dans le futur, Chiang Mai pourrait-elle devenir une ville piétonne ?

Oui! Imaginez qu’un jour vous n'ayez plus besoin de prendre votre voiture pour aller travailler, que vous ayez juste besoin de marcher quelques minutes pour prendre un bus, qu’en chemin vous puissiez vous arrêter dans un parc, etc. Et ne me dites pas qu’il fait trop chaud!

Bien sûr qu’il fait chaud, nous vivons dans un pays chaud et humide, mais à Singapour aussi (Singapour jouit d’un climat équatorial et de ce fait se caractérise par une seule saison où il fait chaud et humide toute l’année alors que Chiang Mai bénéficie de saisons plus contrastée et de température plus douce en saison sèche de novembre à février, NDLR) et les gens marchent parce que les autorités ont mis en place les infrastructures nécessaires. 

Je pense surtout qu’il faut faire prendre conscience à la population qu’il faut changer, qu’elle doit se réapproprier la ville. Et cela n’est pas possible si on ne se déplace qu’en voiture ou à scooter.

J’ai eu l’occasion d’étudier en Irlande et de voyager dans beaucoup de pays et j’ai pu constater qu’une ville bien pensée est une ville où il n’est pas nécessaire d’engloutir 30% dans une voiture, c’est une ville où l’on fait de l’exercice tous les jours, où les gens font partie de la ville. 

À votre niveau personnel, quels sont les changements ou améliorations qui pourraient être faits à Chiang Mai ?

Il faudrait tout changer! Nous avons besoin d’un bon système de transports publics et qu’il soit permanent. (En 2018, la ville de Chiang Mai avait mis en place un réseau de 6 lignes de bus avant de l’abandonner au début de l’année 2020, soi-disant à cause du Covid-19. À l’heure actuelle, il n’est pas prévu que ce réseau reprenne du service dans le futur, NDLR)

Nous voulons également avoir des trottoirs, faire de Chiang Mai une ville agréable pour se déplacer à pied. 

Et bien sûr, nous voulons un meilleur environnement que ce soit en termes de qualité de l’air ou de qualité de l’eau. 

La crise liée au Covid-19 est-elle un frein ?

Au contraire, c’est une opportunité en termes d’urbanisme! Personne ne veut changer la planification d’une ville quand les affaires marchent bien, quand les gens ont de bons revenus. Un peu partout dans le monde, des universitaires parlent des villes de l’après Covid-19. Il y a eu une prise de conscience de l’importance des espaces verts, du besoin de distance physique ou de faire de l’exercice. Avec la nouvelle normalité, c’est le bon moment de changer. D’autant plus que le tourisme sera différent aussi et les voyageurs vont avoir besoin de raisons supplémentaires pour venir à Chiang Mai. 

Chiang Mai était connue pour son côté bon marché, c’est moins le cas aujourd’hui donc il faut trouver d’autres atouts. Si nous pouvions avoir plus de parcs dont celui sur le site de la prison, des trottoirs, ce serait un bonus pour le redémarrage du tourisme.

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