Arriver à l’Alliance française de Katmandou, basée à Patan, c’est être attrapé, dès le portail passé, par le choc des couleurs. Les murs peints, un poing dressé, une Marianne, symbolisant la liberté, l’égalité et la fraternité, réalisés par un collectif d’artistes de street art népalais. L’agréable jardin, avec son carré de pelouse verte et ses plantes en pots, une guirlande de motos garées. Au fond, bordé d’une terrasse où sont disposés fauteuils et chaises, un bâtiment de plain pied vitré, dont on apprend plus tard que c’est l’auditorium, héberge une belle salle de spectacle avec un bar.
L'espace dédié à l’Alliance française de Katmandou a été financé par le dispositif de soutien au tissu associatif des Français à l’étranger (STAFE), ainsi que par l’ambassade de Suisse et des donations privées.
L’Alliance française de Katmandou
En 1982, existait à Katmandou un lieu culturel français qui organisait des événements, c’était un rendez-vous important et connu des francophones et des Népalais attirés par la culture française. En 1994, cet espace est devenu l’Alliance française de Katmandou. L’institution s’est déplacée à Patan il y a 7 ans.
Pendant plus d’une dizaine d’années, sa gestion a été conduite par des personnes venues au Népal pour une durée de deux ans dans le cadre d’un volontariat international, donc une période brève pour mener à bien des projets vraiment élaborés. La France a finalement reconnu la nécessité de créer un poste pour un expatrié envoyé sur place pour un séjour plus long.
En 2021, l’accord France Népal, relatif à l’activité de l’Alliance française de Katmandou, a été reconduit et permet maintenant de bénéficier de 10 visas gratuits d’un an renouvelables quatre fois, pour renforcer l’équipe enseignante, et d'exonérations de taxes pour importer du matériel pédagogique.
Qui sont les étudiants de l’Alliance française de Katmandou ?
Les Népalais parlent couramment plusieurs langues : le népalais, l’anglais, le hindi et une ou plusieurs langues maternelles (il existe plus de 120 langues au Népal !). Ils possèdent, pour la plupart, des facilités forgées dans la petite enfance, à s’imprégner de nouvelles langues.
La majorité des personnes apprend le français pour partir étudier en France, d’autres pour travailler dans le tourisme ou encore pour le plaisir d’apprendre.
Actuellement, 1894 étudiants sont inscrits pour l’année 2023 et ce chiffre devrait atteindre 2200 inscrits d’ici la fin de l’année, contre 1444 étudiants l’année dernière.
L’Alliance est ouverte 6 jours sur 7, toute l’année, hors jours fériés. Les cours ont lieu par fraction de 1h30, 5 jours par semaine et les étudiants sont friands de la plage horaire 7h/8h30.
Anne-Laure Petit, directrice de l’Alliance française de Katmandou
Anne-Laure Petit, en poste depuis 2019, nous parle de son parcours professionnel qui ne la destinait pas forcément ni à venir au Népal, ni à prendre à bras le corps, toutes les fonctions, officielles et officieuses, qu’exigent la direction d'une Alliance française à l’étranger.
Avant son départ pour Katmandou, la jeune femme a suivi des études dans le domaine du management culturel. Elle a effectué son stage de fin d’année à l’Institut français de Yokohama, au Japon, où durant plusieurs mois, elle a participé à la mise en œuvre d’un festival des arts français.
De retour en France, elle a travaillé pendant neuf années dans les services culturels des mairies d’Argenteuil (Val-d’Oise), puis à la mairie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Elle y a organisé des festivals annuels, et différents événements en rapport avec les Arts vivants.
Comme elle le dit si joliment, « la population de Saint-Denis, c’est le monde entier dans une seule ville ».
Ses années collège puis lycée ont amené Anne-Laure à participer à plusieurs séjours linguistiques. Aller à la découverte d’un pays étranger, d’autres coutumes, d’autres univers, a finalement forgé ses rêves d’aller, lorsqu’elle serait adulte, travailler à l’étranger.
Alors forte de ses expériences professionnelles et de sa maîtrise de l’anglais et de l’espagnol, elle a postulé pour être détachée du ministère des Affaires étrangères dans une Alliance française à l’étranger.
Ainsi à 31 ans, elle a débarqué à Katmandou avec ses valises.
Les chantiers entrepris par Anne-Laure Petit pour dynamiser l’Alliance française de Katmandou
Les premières impressions de la jeune femme, en arrivant dans ses nouveaux bureaux, furent négatives : les murs et les locaux étaient tristes, sombres et impersonnels, rien d’accueillant, rien qui donne aux étudiants envie de rester. Elle se donne alors pour mission de retrousser ses manches et d’employer son énergie en mobilisant l’équipe à rendre accueillant ce petit bout de représentation de la France et de sa culture, une notion fondamentale pour elle.
Selon les expériences d’Anne-Laure, une institution telle que l’Alliance doit être « un tiers lieu », un espace de travail et de rencontres où l’on se sent bien. D’où l’importance de la première impression qu’a le visiteur, ce doit être comme une vitrine, un lieu qui invite à rentrer, à rester, à revenir.
La bibliothèque fut le premier chantier stratégique mis en œuvre, avec pour objectif de réagencer et faire vivre l’espace, de le rendre convivial et interactif.
Après la peinture sur les murs, la signalétique, puis l’ameublement, il fallut réparer et trier les livres et, avec des fonds alloués par l’Institut français à Paris, faire l’acquisition d’autres livres, de BD et d’autres types de médias modernes pour créer une vraie médiathèque.
Actuellement, cette bibliothèque est devenue un véritable espace-ressources, convivial, dont Anne-Laure peut être fière. En 2022 on comptait 420 lecteurs actifs.
Anne-Laure insiste pour dire qu’une bibliothèque, si ça peut sembler futile aux néophytes, est, cependant, « un vrai sujet ». Les bibliothèques n’existent pas au Népal, à part dans les universités.
Une nouvelle médiathécaire est responsable de sa gestion et de son animation, elle est aidée pour cela chaque année par un/e jeune français/e qui vient y faire un service civique.
Autour des différents médias, les étudiants, les anciens étudiants népalais et des Français viennent emprunter des ouvrages, se rencontrent, discutent.
Qui dit rencontres, dit aussi transmission, soutien, liberté d’une parole singulière dans l’altérité et le débat. L’alphabet d’un enrichissement mutuel et multiculturel.
On peut même y faire suivre les enfants, puisqu’il existe pour eux une salle spéciale pour jouer et lire.
Les travaux de réaménagement et de rajeunissement de tous les locaux ont continué avec le même objectif : rendre les lieux agréables et les identifier. À chaque niveau du bâtiment une signalétique claire en français et en anglais permet de s’orienter et les classes ont pris les noms de régions françaises, avec la décoration et les photos correspondantes. Les élèves peuvent ainsi voyager ou rêver, tout en restant sur place, en se rendant dans la classe Rhône-Alpes ou Nouvelle-Aquitaine.
Parallèlement, l’Alliance a beaucoup développé sa communication via les réseaux sociaux, pour toucher un public jeune plus large.
Les nouveautés à l’Alliance française de Katmandou depuis le Covid-19
Lors des deux ans de fermeture pendant la pandémie de Covid-19, Anne-Laure et l’équipe enseignante avaient mis en place des cours en ligne via « Apolearn », une plateforme de formation digitale interactive qui est également utilisée par les Alliances en Inde et ailleurs, et via Zoom. Cette pratique continue, aujourd’hui par choix, pour certains étudiants au Népal mais aussi à l’étranger.
Une classe de français langue étrangère de niveau 1 a aussi ouvert cette année à Pokhara, ville d’où partent les treks pour l’Annapurna. Les cours sont assurés par une enseignante expérimentée qui a habité et travaillé à Katmandou il y a quelques années.
Le Bistrot : un autre pôle inattendu de l’Alliance française de Katmandou
Comme la plupart des bâtiments de Patan, celui de l’Alliance française est construit sur plusieurs niveaux et le Bistrot et sa cuisine sont tout en haut. Le Bistrot est ouvert à tous, à condition de réserver son repas la veille et au plus tard le matin même.
Le chef népalais est un passionné de cuisine qui s'est formé seul à la pâtisserie et à la cuisine française. Son équipe, constituée d’une aide-cuisinière et d’une serveuse, travaille le midi, du lundi au vendredi, et livre aussi entre 25 et 45 repas pour les enfants de l’Ecole française, qui se situe à près de 7 kilomètres. Le Bistrot propose également des viennoiseries le matin à 8h.
L’équipe de cuisine est aussi disponible pour des demandes de prestations concernant des événements extérieurs et, bien sûr, c'est aussi le cuisinier du Bistrot qui s'occupe de la partie culinaire lors des événements organisés par l'Alliance française.
La terrasse avec la vue, si on a de la chance, sur les sommets enneigés est le lieu idéal pour l'organisation d'événements festifs comme la retransmission sur grand écran des matchs de la coupe du monde de football, de barbecues et repas à plusieurs, mais aussi, comme ce matin, d’un cours particulier.
Le rôle et les fonctions d’une directrice ou d’un directeur d’une Alliance française
Selon l’intitulé officiel du poste, c’est tout d’abord :
« Être capable de développer l’activité de l’Alliance selon deux niveaux : pédagogique et culturel avec en plus, un bureau de traduction et le bistrot ».
Anne-Laure travaille en confiance, sous un double regard : celui de l’Ambassade de France et celui du Conseil d’administration népalais.
Ces deux instances ont un rôle de contrôle et valident, ou pas, les décisions de la direction de l’Alliance concernant les projets de l’année, les budgets, les salaires et les mouvements de personnels.
L’État français finance certains projets et investissements et le poste de la direction. Les charges, les salaires, les locaux sont couverts par les recettes liées aux inscriptions aux cours de français.
Depuis 2022, le dynamisme dont fait preuve l’Alliance lui a permis de sortir de difficultés financières récurrentes et elle assure actuellement complètement son autofinancement.
Le challenge le plus délicat d’Anne-Laure Petit a été de constituer une équipe soudée et à la former « au sens de l’accueil » des usagers, comme elle l’entend. Former, écouter, gérer les conflits et apprendre à communiquer ont été ses axes de travail.
L’équipe permanente comprend 22 personnes et est assistée de 15 professeurs népalais et français en contrats de vacation.
Créer une homogénéité avec une équipe aussi importante a demandé du doigté, probablement beaucoup de patience, entre les anciens et les nouveaux, les plus âgés et les plus jeunes.
Anne-Laure a choisi de diriger avec humanité sans perdre de vue ses objectifs. Ainsi plusieurs salariés népalais, dont les deux réceptionnistes, le chef du bistrot, le comptable et l’un des gardes ont appris le français.
Ensuite, elle demande aux salariés d’apprendre à se dire les choses et à s’expliquer plutôt que de laisser les conflits larvés s’installer. Se dire les choses qui pourraient fâcher n’est pas vraiment dans les habitudes des uns et des autres. C’est peut-être aussi l’endroit où les particularités culturelles s’expriment, en termes de générations, de castes et de sexes.
Elle-même prend le temps avec chacun, lorsque cela est nécessaire, d’écouter les difficultés et les plaintes, de construire leur projet d’avenir, mais aussi de compatir et prendre en compte les dures réalités de la vie.
Anne-Laure dit qu’en plus de pédagogue, responsable de l’hygiène et de la sécurité, du projet et de la gestion du Bistrot, initiatrice, organisatrice, comptable, bricoleuse, elle doit aussi être, parfois, une sorte de maman pour tous.
Quels sont les projets à venir à l’Alliance française de Katmandou ?
En plus des séances de cinéma et des représentations ponctuelles, des grands événements sont en préparation et sont attendus par les communautés francophones et népalaises :
- Novembre numérique, avec, entre autres, le projet d’investir dans des casques de réalité virtuelle comme outils pédagogiques et culturels.
- Escape, une exposition d’arts numériques, avec la participation d’artistes népalais.
- Le marché de Noël, le moment où tout le monde se retrouve et qui fait l’unanimité, avec la vente d’artisanat local, des jeux pour les enfants, un concours de pétanque, un repas français (l’année dernière c’était un Bourguignon qui fait encore parler les gourmands) et un repas Newar, les Newars représentant la moitié des habitants vivant dans la vallée de Katmandou.
- La fête de la francophonie au mois de mars 2024.
- La fête de la musique le 21 juin 2024.
Par ailleurs Anne Laure souhaite mettre à la réflexion l’avenir du Bistrot qui est finalement une charge assez lourde, pour envisager de l’externaliser, le tout en sécurisant le concept et les postes actuels.
Ce qui ressort de cette visite, c’est l’impression d’être entrée dans une ruche où l’on s’active à fabriquer du bon, un lieu accueillant où on travaille à tous les étages, un lieu qui enveloppe. La bibliothèque invite à bouquiner confortablement assis dans un fauteuil, avec un roman ou une BD.
On pourrait dire de l’Alliance Française de Patan qu’elle est « une maison pour tous », qui existe par la volonté de sa directrice, éclairée, entreprenante et chaleureuse.
Un petit détail qui a son importance pour les Français du Népal : il existe une ambassade de France à Katmandou, mais la représentation consulaire de la France, pour tout ce qui est administratif, est à Delhi (ndlr : 1h30 en avion). Pour beaucoup d’évènements français au Népal, les représentants de la France à Delhi sont donc invités, comme ce fut le cas pour l’inauguration de l’auditorium de l’Alliance française de Katmandou.