Virginie et Jérôme, Français installés depuis trois ans à Chennai, ont profité de la trêve de Noël pour s’aventurer dans les Etats du Nord-Est de l’Inde, les « sept sœurs». Virginie et Jérôme nous racontent leur découverte de l’état du Nagaland, frontalier avec le Myanmar.
En décembre, les températures sont fraiches et la neige commence à blanchir les pentes escarpées des montagnes. Mais décembre, c’est aussi le mois de grandes fêtes religieuses dans cet état où près de 90 % de la population sont chrétiens.
Les Sept sœurs : une mosaïque de petits états isolés à l’extrême Nord-Est de l'Inde
Ce sont sept états imbriqués dans cette petite « annexe » sur la carte de l’Inde, coincée entre le Bangladesh, le Myanmar, la Chine et le Bhoutan.
On sait qu’un tel voyage est promesse d’insolites, d’étonnements et d’émerveillements mais peut également réserver quelques difficultés, liées en particulier au faible développement des infrastructures routières.
Le Nagaland, un Etat de tribus christianisées
Le nom de Nagaland vient de celui de la principale tribu locale, les Nagas. La région compte 16 tribus différentes qui, jusqu’au XIXème siècle, vivaient isolément avec chacune leurs propres traditions. Les Britanniques, en imposant une organisation administrative et policière, ont mis fin aux guerres tribales et certaines pratiques comme celle de couper la tête des ennemis, marque de puissance et de virilité. La chasse aux têtes fut officiellement abolie en 1953, mais un dernier cas a été recensé en 1963.
Les Nagas ont été évangélisés principalement par des missionnaires venus d’Amérique ce qui fait qu’aujourd’hui, la majorité d’entre eux sont de confession baptiste.
L’intégration à la fédération indienne a été tardive ; c’est seulement en 1963 que le Nagaland est devenu un état à part entière. Le sentiment nationaliste y est fort ; la région a connu régulièrement des soulèvements conduits par le parti politique local, qui prône l’autonomie.
C'est ce contexte d'instabilité que le gouvernement national de l'Inde utilise pour maintenir, dans le Nagaland, l'application de la loi AFSPA. Cela autorise les forces de sécurité à fouiller un lieu et/ou à arrêter une personne sans mandat et à ouvrir le feu si elles le jugent nécessaire pour "le maintien de l'ordre public". Les habitants du Nagaland demandent régulièrement le retrait de cette loi qui a été à l'origine de plusieurs incidents mortels pour des civils. Le dernier date de début décembre 2021, lorsqu'une unité spéciale de l’armée indienne a ouvert le feu sur un véhicule transportant des mineurs et a tué 6 personnes. Des émeutes ont suivi entrainant la mort de 7 autres personnes et de nombreux blessés. Une enquête a été ouverte pour déterminer les causes de la fusillade. Mais, malgré les protestations des habitants du Nagaland, la loi AFSPA a été maintenue.
Le Nagaland compte environ deux millions d’habitants dont 90 % vivent de l’agriculture. Les principales cultures sont le riz, le maïs, le millet, le tabac, la canne à sucre et la pomme de terre. Une relative intensification a conduit à l’appauvrissement des sols.
Chennai - Nagaland, un long voyage
Depuis Chennai, la liaison aérienne avec le Nagaland passe par Calcutta et aboutit à Dimapur, à 70 km de la capitale Kohima. Il faut plus de trois heures en voiture pour effectuer le trajet ; un premier aperçu de l’état des routes !
Kohima est perchée à 1500 m d’altitude. La ville s’étend sur une succession crêtes et de collines où s’accrochent des maisons colorées, en tôles. Les maisons traditionnelles en bois sculpté, comme celles présentées au « Naga Heritage village » (sorte de village musée à une dizaine de kilomètres de la capitale) ont pratiquement disparues.
Le marché de Kohima donne un aperçu des spécialités culinaires insolites du pays, comme des rats, des larves de guêpes et de vers à soie et des chiens. Les Nagas consomment toutes sortes de viandes ; la plupart des maisons possèdent un abri à cochons et les cours sont les lieux de jeu de volailles et de canards.
Quelle surprise pour Virginie de se retrouver un matin devant une scène collective de dépeçage d’une quarantaine de bovins tués peu de temps avant. Femmes et hommes s’organisent en ateliers. Les hommes découpent, tranchent, flambent les têtes au chalumeau, mettent à cuire les morceaux dans de grandes marmites. Les femmes acheminent le bois pour le feu, dans de grands foyers à même le sol. Elles ont également pour taches de mélanger les épices et préparer les feuilles pour l’emballage des portions. Un vrai travail d’équipe, silencieux et sanguinolent.
Le jour de Noël, à la sortie de la messe, les préparations issues de la tuerie seront distribuées aux fidèles comme plat de Noël.
Les rues de la capitale et des villages alentours sont décorées pour Noël et des crèches avec un petit Jésus blanc sont installées dans les quartiers. La population assiste à la messe de Noël dans une des nombreuses églises de l’Etat, puis rejoint la maison pour le repas familial.
Le volley-ball semble un sport très pratiqué et populaire. On peut facilement assister à un match. Les supporters encouragent leur équipe, emmitouflés dans une couverture pour se protéger du froid de décembre.
Dzukou, une vallée en altitude dans le Nagaland
Un des attraits touristiques de la région est de s’engager sur les sentiers qui sillonnent la montagne. Virginie et Jérôme ont choisi la vallée de Dzukou qui s’accroche à 2500 m d’altitude. Cela leur a rappelé les cirques de la Réunion.
Après une approche en véhicule Tata Sumo d’une autre époque, la marche débute par l’ascension d’un col qui débouche sur une vallée de monticules et d’aspérités recouverts de végétation. Sous un ciel lumineux, décembre glace les ruisseaux et produit les premiers névés. L’excursion est longue et éprouvante. Idéalement, il faudrait y bivouaquer une nuit, mais au regard des températures glaciales, l’option n’est pas conseillée. La nuit tombe tôt à cette période (17 heures) et le retour est périlleux dans l’obscurité.
Khonoma, village « vert » dans le Nagaland
La découverte du Nagaland s’est achevée pour nos voyageurs par la visite du village de Khonoma. Connu pour être le berceau de la résistance Naga aux Britanniques pendant le XIXème siècle, Khonoma se revendique aujourd’hui comme un village « vert », dont les habitants s’engagent à protéger la nature et ne plus chasser. Le village est perché sur une crête d’où partent des rizières en terrasses. C’est un havre de paix et de beauté. Malheureusement, la pandémie a mis fin aux excursions commentées.
Les difficultés de communication restent pour Virginie et Jérôme le point noir de leur voyage. Les contacts sont rares, la population se camouflant dans ses grandes couvertures ou châles. Les regards sont fuyants. La pandémie ne permet plus l’accueil chez l’habitant et la plupart des installations touristiques sont fermées. L’économie du tourisme qui commençait à se développer subit là un coup d’arrêt dont elle aura du mal à se redresser.