Dans son dernier rapport sur la situation carcérale en 2018, la LICADHO (Cambodian League for the Promotion and Defense of Human Rights) tire la sonnette d’alarme sur la situation de nombreux détenus, notamment ceux attendant leur procès.
Bien que les lois cambodgienne et internationale affirment que la présomption d’innocence est un droit inaliénable et attribuable à tous les citoyens du royaume, la réalité diverge grandement de ce principe fondamental.
Présumé coupable
Le système de liberté conditionnelle ou bien même le principe fondamental de présomption d’innocence ne sont donc que peu respectés au Cambodge. En attendant son procès, l’accusé est donc présumé coupable et pour la plupart, cela signifie qu’ils passeront les mois qui les séparent de leur passage devant un juge derrière les barreaux. La justice étant parfois très longue, certains prévenus peuvent passer jusqu’à 22 mois derrière les barreaux avant leur jugement, une période qui dépasse allègrement celle de leur hypothétique peine si leur culpabilité était prouvée.
Les situations qui en découlent sont dramatiques : au centre correctionnel de détention numéro 1, la plus grande prison d’hommes à Phnom Penh, la LICADHO décompte pas moins de 6711 détenus, alors que ce lieu a été conçu pour accueillir dans des conditions décentes un nombre maximum de 2050 prisonniers. On atteint donc plus du triple de la capacité sanitaire du centre. Mais chiffre encore plus déroutant, parmi ces détenus, environ 50% ne sont qu’en détention provisoire et attendent leur procès. Aucune preuve de leur culpabilité n’a dont été présentée par quelque cour de justice que ce soit.
Le système de libération sous caution existe par ailleurs, mais le manque d’aide et de connaissance du cadre légal par les prisonniers implique que beaucoup d’entre eux ne prennent pas en considération cette porte de sortie provisoire. Ce phénomène de surpopulation a connu un boom sans précédent au début de l’année 2017, lorsque le gouvernement du premier ministre Hun Sen a lancé sa guerre contre la circulation de drogues dans tout le territoire du royaume.
Femmes enceintes et enfants derrière les barreaux
Cette multiplication des cas de détention provisoire a engendré un phénomène catastrophique que l’Etat cambodgien n’a pas encore réussi à contrer ou freiner ; la présence d’enfants derrière les barreaux. La loi cambodgienne autorise les enfants de moins de trois ans à vivre avec leur mère en prison, pour lesquelles prendre leur enfant avec elles est moins un choix qu’une obligation. L’éloignement de la famille rend l’hypothèse d’une séparation de l’enfant et de la mère improbable.
Durant l’année 2017, le Cambodge a connu un pic de présence d’enfants en bas-âge avec, dans l’ensemble des prisons observées par La LICADHO, 179 enfants emprisonnés avec leurs mères, auxquels il faut ajouter 74 femmes enceintes. Si ces statistiques ont depuis légèrement baissé, la situation reste très critique. Lors de l’accouchement, les futures mères sont amenées à l’hôpital mais n’ont souvent le droit de n’y rester qu’une seule journée.
Une expérience de vie derrière les barreaux pour un enfant en si bas-âge a des conséquences traumatisantes pour le reste de sa vie ; des séquelles mentales évidentes causées par l’isolement, l’éloignement de la famille et l’absence de contact avec le monde extérieur, mais également des dommages physiques considérant la frugalité de la nourriture fournie dans les prisons du royaume et l’absence de traitement privilégié (couches disponibles, savon) pour les femmes enceintes ou allaitant, ainsi que pour les enfants de moins de deux ans.
D’autres populations sont également particulièrement touchées par cette surutilisation des peines provisoires précédant les jugements. Les adolescents ayant moins de 14 ans sont, selon la loi, protégés des autres détenus et leur peine est limitée. Mais cette limite de durée n’est pas toujours respectée et la LICADHO a observé de nombreux jeunes emprisonnés depuis une durée largement supérieure à celle prescrite par la loi. De nombreuses études ont par ailleurs prouvé qu’un emprisonnement à cet âge ainsi que la proximité avec de réels criminels augmente substantiellement le risque de développement des mêmes comportements déviants et violents à l’âge adulte.
La libération sous caution, une des solutions envisagées par l’ONG
Cette pratique, pourtant très courante dans les pays occidentaux, est à peine évoqué par les juges cambodgiens et très peu de détenus en ont connaissance.
Au-delà de limiter significativement la surpopulation des prisons, l’utilisation des libérations sous caution permettrait également aux cours du royaume de hiérarchiser la gravité des cas dont elles ont la charge et d’éviter qu’un adolescent soit emprisonné plus d’un an sans procès pour un délit non-violent.
Cependant, relève l’organisation, ce système doit être surveillé et ne doit pas être utilisé à des fins perverses et cupides. Car si les montants demandés sont absurdement élevés, alors les premiers à en souffrir seront les familles les plus pauvres qui n’auront d’autres choix que d’accepter la peine de détention provisoire, alors que ce sont déjà celles, faute à leur manque de connaissance du cadre légal de leur arrestation, qui sont le plus en danger dans la situation actuelle.