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BALLET ROYAL - Au coeur du ballet de la Princesse

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 12 septembre 2017, mis à jour le 12 septembre 2017

 

LePetitJournal.com Cambodge, en collaboration avec le Post Weekend, a pu suivre en exclusivité le Ballet Royal du Cambodge lors de son voyage à Hong Kong et pénétrer dans l'intimité des coulisses de cette troupe légendaire. 

Pour la Princesse Norodom Buppha Devi, Directrice du Ballet Royal du Cambodge, il importe peu que la troupe danse en salle de répétition, au Palais Royal ou sur une scène internationale.

« Pour moi, c'est de l'entraînement... Au sein du Palais, dehors, dans la forêt ou dans les montagnes, en France, en Chine - la scène est toujours la même pour moi », confie-t-elle, posant ses mains sur sa poitrine en riant doucement.

Soucieuse d'assurer la pérennité du ballet centenaire, elle espère que les danseuses et danseurs partagent une vision similaire de cette passion commune, explique-t-elle dans un entretien accordé au Post Weekend, mené dans le hall d'entrée de l'Hôtel Kerry vendredi 25 août dernier, avant de se produire à Hong Kong.

 « Une fois sur scène, je deviens une danseuse, tout simplement une danseuse », ajoute-t-elle.

Alors que Buppha Devi n'avait pas dansé depuis 1991, elle a pris la direction du Ballet Royal ces deux dernières décennies, le ressuscitant après qu'il eût été pratiquement détruit durant le régime des Khmers rouges.

C'est alors qu'elle fait faire le tour du monde au ballet, sur les scènes de New York, de France, en Chine, en Inde et dans toute l'Asie du Sud-Est. Cette première à Hong Kong est l'une des nombreuses étapes qu'a déjà parcourues le ballet, qui semble avoir une meilleure assise sur la scène internationale qu'au Cambodge, où le domaine artistique ne provoque que peu d'intérêt dans la vie publique.

Ce n'est que grâce à ses sponsors ? dont Cathay Dragon, le groupe Shangri-La, et l'homme d'affaires hongkongais Chen Yong Sieng ? que le ballet a pu voyager jusqu'à Hong Kong, accompagné par un reporter.

Pour la première ballerine Chap Chamroeun Tola, âgée de 30 ans, qui a dansé le rôle titre d'Apsara Mera, une des compositions de danse de Buppha Devi les plus reconnues - portant sur le mythe fondateur du peuple cambodgien ? c'est une réalité douce-amère. 

« Nous avons un accès à la scène plus important hors du Cambodge que dans notre pays », dit-elle. 

Le ballet offre une opportunité unique pour les danseuses et danseurs de découvrir le monde et d'être reconnus pour l'engagement de toute une vie, de nombreuses danseuses ayant commencé à danser sous la tutelle de la Princesse à l'âge de 5 ou 6 ans.

Toutes les danseuses que le Post Weekend a pu rencontrer ont affirmé que Buppha Devi était une mentor aimante et attentionnée. 

« Elle est comme une mère pour moi », dit Tola. « Elle se soucie peu d'être une Princesse », ajoute-t-elle.

Une professeure hors du commun 

Tola, qui joue généralement des rôles féminins, dit qu'elle préfère les personnages opposés, comme le géant ? dont la danse décrit un combat ? plutôt qu'un prince, toujours joué par une danseuse, pour lequel il est nécessaire d'inspirer des sentiments romantiques de manière convaincante.

« Je voulais vraiment incarner la princesse, mais je ne ressentais pas ce sentiment d'amour. » dit-elle. « En fait, j'étais un peu garçon manqué lorsque j'étais plus jeune. ».

Lors des ballets classiques khmers, les danseurs jouent des personnages issus de quatre catégories principales : le géant, le singe, l'homme et la femme. Les scènes des ballets proviennent du folklore, des mythes et, le plus souvent, sont adaptées du Reamker ? la version cambodgienne du Ramayan.

« Pour être tout à fait honnête, je suis assez douée pour me battre. Je me sens plus forte quand je joue ce rôle... Exprimer l'amour, ce n'est pas vraiment mon genre, mais je dois [le faire] » ajoute-t-elle.

Buppha Devi a forcé Tola et sa partenaire qui joue le prince à se regarder en face en face, jusqu'à ce que toutes sensations d'inconfort et de gêne disparaissent. Ses instructions étaient de rester immobile et « d'établir un contact de manière douce », uniquement en souriant et en se regardant dans les yeux, afin de ressentir de l'amour. Une fois seulement après que cela eût lieu, elles purent commencer à danser.

« Le Ballet Royal du Cambodge n'est pas un art parlé, [l'expression] passe par le mouvement. Il est donc nécessaire que [les danseurs] comprennent bien qu'ils doivent sentir en leur for intérieur les émotions avant de pouvoir les exprimer par des gestes », explique Buppha Devi. 

Buppha Devi accueille les ballerines, musiciens et professeurs dans son propre appartement à Phnom Penh pour répéter. Cela est notamment dû au fait que l'école secondaire des beaux arts, située dans la commune de Thmey, est éloignée du centre de Phnom Penh. Mais pour Buppha Devi, il s'agit aussi de fournir un espace confortable afin que les danseuses et danseurs puissent se perfectionner. « C'est un peu comme une famille », dit-elle.

A Hong Kong, Khon « Mo » Chansithyka, 26 ans, et son frère cadet Khon « Nan » Chansina, 24 ans, qui jouent respectivement le singe et le géant lors d'une scène de la danse masquée Lakhon Khol, jouent pour la seconde fois avec le Ballet Royal, et font leur première apparition à l'étranger.

Ils doivent répéter dans une salle de conférence de l'Hôtel Kerry, le typhon Hato ayant coupé l'accès au théâtre du Hong Kong Cultural Centre. C'est la veille de la représentation, et Proeung Chhieng, le Directeur Technique du ballet et Professeur à l'Université Royale des Beaux Arts, âgé de 67 ans, leur donne des instructions de dernière minute pour rendre plus convaincante leur scène de combat.

Pour Mo, « nous jouons, mais c'est réel. Nous intériorisons les sentiments et l'énergie. Quand nous nous battons, nous essayons réciproquement de contrer nos coups, il faut donc que des vibrations s'échappent de nos mains. »

Autour d'eux, Buppha Devi marche en cercle, et taquine les deux frères sur le fait qu'il soit nécessaire que Chhieng leur explique de si petites choses.

« Lorsqu'on est danseur, il y a toujours quelque chose à corriger, » dit-il.

Parmi les 70 ou 80 élèves que comptent une promotion de l'Ecole Secondaire des Beaux Arts, peut-être un dixième d'entre eux peuvent ensuite étudier à l'Université Royale des Beaux Arts. Seule une poignée de ces étudiants est ensuite sélectionnée pour danser au Ballet Royal.

« Les autres professeurs nous disent « fais ci, fais ça », mais la Princesse, elle, elle explique », dit la danseuse Sok Nalys, âgée de 23 ans, qui jouait le rôle masculin du prince à Hong Kong, en face de Tola. « Elle nous parle gentiment, et cela nous donne confiance en nous. »

De plus, sous la direction de Buppha Devi, Nalys affirme que les danseurs sentent une certaine « liberté », malgré la nature rigide de la danse classique, la Princesse poussant les frontières de la tradition.

« Elle ose changer les choses alors que, dans le passé, personne n'osait changer, » dit-elle.

Reconstruction et rénovation

Chhieng avait 8 ans lorsqu'il rejoint le ballet royal, et n'avait que 9 ans lorsqu'il dansa pour la première fois à l'étranger, en Égypte et en Yougoslavie, lors de visites d'État. Comme quelques autres maîtres de sa génération dans l'entourage de la Princesse, il a grandi principalement au Palais Royal.

« En 1967 je suis devenu professeur de danse, et après le coup d'État de 1973, j'ai rejoint la Reine Kossamak à Pékin [Beijing] afin d'y étudier, car elle m'avait demandé si je voulais y apprendre l'éclairage de scène en Chine », dit-il. Mais la révolution culturelle a interrompu ses plans, et il fut transféré à Pyongyang, en Corée du Nord.

« Là bas, le gouvernement ne permettait pas aux étrangers d'étudier l'éclairage, alors j'ai appris la chorégraphie. »

Chhieng est retourné au Cambodge en 1979, et redevint professeur à partir de 1982. Ce n'est qu'en 1991, lors que le Roi Norodom Sihanouk et la Princesse Norodom Buppha Devi revinrent définitivement, qu'il intégra de nouveau le ballet royal, lorsqu'il se reforma.

« Les membres du ballet qui avaient survécu ainsi que les nouveaux danseurs organisèrent une soirée de bienvenue pour le Roi, et ce fut la dernière danse [de Buppha Devi], en 1991 », se remémore-t-il.

Pour Chhieng, travailler avec Buppha Devi depuis la fin du régime des Khmers rouges a été un travail d'évolution créative, ainsi qu'une reconstruction de la danse classique khmère.

« Nous innovons à partir de certaines danses classiques. Parfois, nous créons de nouvelles danses », ajoute-t-il.

Les danseuses et danseurs s'engagent toute leur vie pour leur art, et ne sont que peu récompensés pour leur dévouement. Beaucoup se retirent en cours de carrière, ou font face à une forte pression sociale pour abandonner ? ce qui est souvent le cas au Cambodge dans le domaine artistique. 

Comme lors de la période Sangkum, les danseurs du ballet royal sont employés en tant que fonctionnaires. Ils relevaient alors du Ministère de l'Éducation, au lieu du Ministère de la Culture et des Beaux Arts.

Néanmoins, aujourd'hui, l'État ne finance pas les tournées internationales, tandis qu'auparavant le ballet voyageait avec le Chef de l'État. Par ailleurs, le salaire d'environ 200 dollars par mois (auquel s'ajoute de 30 à 70 dollars par représentation ) signifie que la plupart des danseurs qui ne sont pas étudiants ont aussi un autre emploi. Comme le note la Princesse, « c'est toujours difficile ». 

« C'est compliqué avec le Gouvernement, parfois je ne trouve pas les mots », dit Tola à propos du manque de soutien financier pour le ballet.

« Quand vous voulez que le domaine artistique vive, mais que vous ne donnez pas aux danseurs les moyens de vivre, alors quel est le problème ? Nous avons besoin que les artistes soient protégés », ajoute-t-elle. Tola essaie d'éduquer le public en passant par Facebook, où elle est suivie par plus de 52 000 personnes. 

« Les Cambodgiens eux-mêmes ne savent pas ce qu'est « Apsara », affirme-t-elle, regrettant que ce terme ? qui fait référence à un personnage spécifique ou à une danse ? est souvent mal utilisé, comme un mot fourre-tout pour la danse classique cambodgienne.

Transmettre l'héritage

Voan Savay, âgée de 66 ans, a dansé avec Buppha Devi dans les années 60, en tant que deuxième danseuse. Buppha Devi, qui commença a danser à l'âge de 5 ans, devint première danseuse à 18 ans, dans les années 50. Savay voit son engagement en faveur du ballet royal de la Princesse comme le devoir de toute une vie.

« Je suis toujours heureuse de travailler avec elle, je pense que c'est mon devoir ? dans ma vie, il n'y a rien d'autre que la danse, » dit-elle.

Mais tandis que Buppha Devi a plus de 70 ans, la question se pose de savoir si la passion et l'innovation qui ont marqué sa direction du Ballet Royal seront toujours de mise après sa succession. Pour la première fois dans l'histoire, ce sera alors une personne extérieure à la famille royale qui dirigera le ballet.

« Chaque génération ajoute de nouveaux éléments aux mêmes histoires », dit Proeung Chhieng, dont la grand-mère apprit la danse à Buppha Devi.

La grand-mère maternelle de Buppha Devi, la Reine Sisowath Kossamak, est reconnue pour avoir restauré le ballet royal, alors dans un état de déliquescence, au début du 20e siècle, réinventant et réadaptant les pièces.

« Je ne fais rien de plus que de suivre cette tradition », affirme Buppha Devi.

« Il est absolument naturel que je sois devenue l'une des danseuses de l'école du Ballet Royal du Cambodge, car la famille royale khmère l'a toujours dirigée... J'ai vécu dans l'ambiance du Palais Royal », dit la Princesse qui se rappelle qu'elle commençait chaque jour dans les salles de répétition du palais. 

« Il est difficile de prédire le futur du Ballet Royal », affirme-t-elle, ajoutant que sa propre expérience l'incite à l'optimisme. 

Lorsque Buppha Devi ne pouvait pas danser, sous le régime de Pol Pot, elle enseignait aux enfants des camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise « afin de leur donner un peu d'espoir, de joie de vivre ».

« Certainement, il y aura quelqu'un... Je ne vais pas vivre cent ans », dit-elle dans un dernier éclat de rire. 

Article signé Alessandro Marazzi Sassoon, The Phnom Penh Post, traduit de l'anglais par Pierre Motin (www.lepetitjournal.com/cambodge) mercredi 13 septembre 2017

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Publié le 12 septembre 2017, mis à jour le 12 septembre 2017

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