Les Cambodgiens seraient 67.000 environ à avoir contracté le virus du SIDA. Vingt ans après le premier cas reconnu sur le territoire du Royaume, pour les autorités cambodgiennes, l'espoir est permis
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Aujourd'hui, les personnes vivant avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) représentent 0,8% de la population cambodgienne. Un chiffre encore trop élevé pour les autorités, qui ont profité de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA pour annoncer leur nouvelle stratégie, celle des "Trois zéros". Dr. Mean Chhivun, directeur du Centre National de Lutte contre le SIDA, les MST et de la Dermatologie (NCHADS), nous l'explique : "Le but du gouvernement est d'atteindre zéro nouvelle infection par le virus, zéro décès et zéro discrimination d'ici à 2020". Un objectif très ambitieux dont il détaille les étapes : "Nous devons éliminer le SIDA dit pédiatrique. Il faut faire baisser le taux de transmission de la mère à l'enfant en dessous de 5% d'ici à 2015". Aujourd'hui, ce taux se situe aux environs de 10%.
Et sur le terrain ?
Cette volonté semble se traduire sur le terrain. Le docteur Se Vophorn travaille dans le service pédiatrique de l'Hôpital de l'amitié khméro-soviétique à Phnom Penh. La plupart des jeunes patients qu'il reçoit, tous atteints du VIH, ont contracté le virus via leur mère. En poste depuis 2007, il constate un changement : "Ça s'améliore : les services rendus sont de meilleure qualité et l'organisation est meilleure, donc la prise de médicaments devient un réflexe". Le service de Se Vophorn compte 350 patients. Une centaine reçoit un traitement dit contre les infections opportunistes, et plus de 200 sont sous anti-rétroviraux. Ils sont 4.360, selon le NCHADS, à être touchés par le VIH ou le SIDA.
Les actions de prévention visent aujourd'hui en priorité les groupes les plus fragiles, car elles sont le coeur de la transmission du virus : les femmes qui travaillent dans le secteur "du divertissement" selon le pudique jargon du milieu, les migrants, les homosexuels et les consommateurs de drogues.
Une situation stabilisée
Tout semble être mis en oeuvre pour faire baisser le nombre de personnes qui décèdent du SIDA au Cambodge, soit 1.500 par an environ. Ce nombre est cependant assez incompressible : "Le nombre de personnes infectées par le SIDA est aujourd'hui stabilisé. Il est de plus en plus difficile de le faire baisser. Plus de 90% des malades reçoivent un traitement anti-rétroviral". L'objectif du docteur Mean Chhivun est donc de pouvoir proposer, à terme, un traitement anti-rétroviral plus tôt que ce qui est admis aujourd'hui. Questions de moyens. Mais les campagnes menées en partenariat avec la société civile semblent avoir été efficaces. Face au SIDA, les pratiques ont changé.
L'incontournable préservatif
L'usage du préservatif, est, à en croire le NCHADS, répandu : "Une étude comportementale nous a montré que 95% des travailleurs du sexe utilisent le préservatif avec les clients". Cependant, "49% seulement de ces personnes l'utilisent avec leur petit(e) ami(e)", déplore Mean Chhivun. Depuis 1994, l'usage du préservatif a été promu dans le pays et notamment dans le milieu de la prostitution. Mais l'évolution de celui-ci a posé quelques problèmes : les travailleurs du sexe sont aujourd'hui plus difficiles à toucher. Explications : " Jusqu'en 2004, les maisons de passe étaient nombreuses. Dans celles-ci, promouvoir le préservatif était plutôt facile. Ensuite, la prostitution a changé : aujourd'hui, on gagne plus dans les karaokés, les structures proposant des massages..."
Le Cambodian HIV&AIDS Education Centre (CHEC) dresse le même constat : selon son directeur, Dr. Heng Phirum, la pratique s'est répandue jusque dans les zones rurales, même si les difficultés ont été plus nombreuses. On peut désormais trouver des préservatifs dans les pharmacies, les centres de santé, et souvent, gratuitement, dans les karaokés.
L'éducation nécessaire de la jeunesse
Bien conscient de l'enjeu que représente la jeunesse dans la stabilisation de la situation, les élèves ont vu s'introduire dans leur curriculum cambodgien des séances d'éducation sexuelle. Mean Chhivun reconnaît des difficultés spécifiques : "Dans notre culture, c'est très difficile de parler de sexualité au sein de la famille, en particulier dans les zones rurales". Le CHEC, acteur de terrain, a mis au point plusieurs stratégies. Les actions qu'ils mènent auprès des jeunes séparent les filles des garçons. Les points de vue divergent lorsqu'on en vient à la question de la manière dont est enseignée la prévention : si pour le NCHADS, les jeunes reçoivent des informations à propos de l'utilisation du préservatif, ce n'est pas l'écho du CHEC : "Le message principal délivré est la stratégie de l'Abstinence-Fidélité-Préservatif. Mais on insiste vraiment sur l'abstinence".
Le SIDA dans le regard de l'autre
Il existe un aspect de la maladie qui n'évolue pas, ou peu : la discrimination à laquelle doivent faire face les personnes vivant avec le virus. "Les membres du village ne voulaient pas s'asseoir à côté d'eux, ne voulaient pas leur rendre visite,... ils ont peur de la contagion. Et puis, souvent, ce sont de nombreux rapports sexuels (extra-conjugaux) qui mènent à la transmission du virus. Donc les gens accusent le mari, et ont pitié de sa femme". Pour combattre les idées reçues, le CHEC a missionné deux personnes dans chacun des villages des 7 districts où il est présent, afin d'assurer l'éducation de la population locale. "Ces volontaires donnent des informations sur les voies de transmission du virus et ils visitent les malades chez eux pour donner le bon exemple". L'évolution des mentalités prend parfois plus de temps que les progrès de la science. Cependant, l'humeur est à l'optimisme au siège du NCHADS : " Oui, nous sommes très optimistes, affirme le docteur Mean Chhivun. L'épidémie de SIDA au Cambodge est concentrée sur les personnes à haut risque".
Laure Delacloche (www.lepetitjournal.com/cambodge) Jeudi 5 janvier 2012