Co-réalisé par Christine Chansou et Vincent Trintignant-Corneau, Même un oiseau a besoin de son nid suit le quotidien de familles khmères dépossédées de leurs terres. Le documentaire laisse notamment la parole aux femmes du lac de Boeung Kak, mais aussi à des figures politiques impliquées dans le débat sur les évictions, comme Hun Sen et Mu Sochua. Explications avec les réalisateurs.
C'est en 2009, alors qu'il travaille au Cambodge sur le tournage d'un téléfilm de fiction, que Vincent Trintignant-Corneau est interpelé pour la première fois par le problème des évictions. En repérage dans le quartier de Boeung Kak, il découvre, stupéfait, "le tas de sable, l'eau qui montait, les maisons qui s'écroulent". Sur place, son équipe est interdite de tournage. Contacté par téléphone, un proche de Lao Men Khin (dont la compagnie a obtenu l'exploitation du site), les renvoie avec le discours suivant : "Vous êtes sur une propriété privé, ces rues sont à nous, ces maisons sont à nous, ces gens sont à nous, partez immédiatement."
Vincent est frappé par cet argument. Deux ans plus tard, il est de retour au Cambodge pour tourner, avec sa compagne Christine Chansou, Même un oiseau a besoin de son nid, consacré aux femmes des familles expulsées de Boeung Kak. Les deux réalisateurs reviennent sur le tournage.
LePetitJournal.com : Comment avez-vous préparé le tournage ?
Christine Chansou : Depuis Paris, nous avons enquêté pendant un an sur le problème des évictions au Cambodge. Des gens comme François Ponchaud, Kek Galabru de la Licadho, Thun Saray de l'Adhoc, le vénérable Loun Sovath, nous ont beaucoup appris, expliqués et aidés.
Vincent Trintignant-Corneau : Nous avons tourné de mars 2011 à mars 2012 en équipe très réduite, 7 personnes au total. Nous avons fait plusieurs belles rencontres dont Arnaud Roux, journaliste depuis 20 ans au Cambodge. Il a tout de suite gagné notre confiance et celles de nos intervenants. Plus que d'être "notre voix et nos oreilles", il s'est passionné pour notre projet. Il y aussi Lach Chantha, chef opérateur à l'agence Reuters à qui nous devons des images fortes de destructions de maisons et de violences policières.
Quel angle avez-vous choisi pour traiter du sujet des évictions ?
Christine Chansou : Nous avons plutôt cherché à raconter notre rencontre avec ces gens en les filmant en situation lors des manifestations, ou lorsque les bulldozers cassaient leurs maisons. Nous avions envie de dénoncer les évictions et donner la parole aux victimes. Nous avons passé du temps avec les gens pour qu'il vienne à nous en toute confiance. Certains nous ont observé plusieurs fois puis un jour, ils nous ont demandé d'allumer la caméra et se sont livrés. Nous nous sommes contentés d'accueillir ces témoignages saisissants !
Le 22 mai dernier, 13 femmes sont arrêtées à Boeung Kak. Quelle a été votre réaction ?
Nous avons étés choqués mais pas surpris. Notre réaction a été de contacter la presse étrangère et d'écrire une lettre au Premier Ministre, Hun Sen. Nous trouvons consternant qu'elles restent coupables aux yeux de la justice cambodgienne (lire notre article). Ces femmes n'ont que tenté de protéger leurs maisons et l'avenir de leurs enfants. Notre film est d'ailleurs dédié aux enfants de Tep Vanny.
Tep Vanny est l'une des voix de votre film. Comment s'est passé la rencontre ?
Tep Vanny est une grande rencontre. Charismatique et accueillante, elle se bat pour la communauté sans jamais chercher à se mettre en avant. Elle a été le coup de c?ur de ce film et c'est aussi elle qui nous a inspiré le titre du documentaire. Elle est tirée de sa première phrase dans le film : "Même un oiseau à besoin de son nid, même un mort à besoin de sa sépulture."
Vous avez également interviewé Hun Sen. Comment avez-vous été reçus ?
Vincent Trintignant-Corneau : Nous avons contacté le Premier Ministre via Prak Sokhonn (Ministre délégué auprès du Premier Ministre), en expliquant que nous faisions un film sur le développement au Cambodge, que nous avions rencontré Sam Rainsy à Paris, et qu'il nous semblait important de lui donner la parole. Il a accepté et s'est prêté au jeu durant plusieurs heures. Il nous a très bien reçus.
Christine Chansou : Cette rencontre était nécessaire pour l'équilibre de la parole politique mais aussi pour comprendre sa vision de la situation. Et on comprend, je crois, que sa façon de faire est agressive, puisqu'il dit : "On ne peut pas forcer le peuple à devenir riche''.
Bande annonce de "Même un oiseau a besoin de son nid":
Prochainement diffusé à Phnom Penh, "Même un oiseau a besoin de son nid" est en langue originale khmère sous-titré français et anglais (70 minutes).
Lire aussi:
- LE PHOTOGRAPHE JEFF PERIGOIS EXPOSE BOEUNG KAK
Julie Cassiau (http://www.lepetitjournal.com/cambodge.html) Mardi 28 août 2012