L’histoire serait drôle si elle n’était pas à la fois ridicule et surtout inquiétante en matière de démocratie et de liberté d’expression : La ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti actuellement au pouvoir, poursuit deux internautes en diffamation dans le cadre de la loi 66 (d) sur les Télécommunications, qui a été l’article régulièrement utilisé par les militaires pour faire taire les journalistes et qui devient maintenant un des instruments de répression favori des politiciens, et notamment des membres de la LND que certains accusent « d’être devenus encore plus tatillons que les militaires ».
En cause ici un groupe Facebook intitulé « We Love Dauk Zaw » (« Nous aimons doc Zaw ») d’après le Dr U Zaw Myint Maung, ancien prisonnier politique sous la junte et aujourd’hui président du Comité exécutif de la LND et Premier ministre de la région de Mandalay, un poids lourd du parti de Aung San Su Kyi donc. Ce groupe Facebook, qui compte plus de 1000 membres, se consacre uniquement à la publication de ‘memes’, ces images ou vidéos détournées pour essayer d’être drôles. Et tous ces ‘memes’ ont une seule cible : le Dr U Zaw Myint Maung.
Mais voilà, l’ancien prisonnier politique devenu politicien doit certainement être plein de qualités pour avoir atteint son haut niveau de responsabilité… mais l’humour et la tolérance n’en font pas parties. Et il a donc décidé de poursuivre les auteurs de certains de ces ‘memes’, qui pourtant ne vont pas chercher bien loin, jugez-en plutôt : l’une des photos montre Zaw Myint Maung en face d’un général, lequel dit « Docteur, aujourd’hui est un jour VIP » ; et le docteur de lui répondre « Oui, il va falloir que nous fassions la fête ce soir encore plus que les autres soirs ». Pas très drôle ? Non, probablement pas ; pas de quoi fouetter un chat ? non, pas de quoi… Mais de quoi pour la LND de Mandalay vouloir mettre deux personnes en prison !
Le Dr U Zaw Myint Maung, qui affirme n’être jamais allé sur la page Facebook en question, se justifie en argumentant que « l’on ne peut pas dire et faire n’importe quoi avec le nom des gens. Moi aussi j’ai des droits, dont celui de vivre ». La réaction ne s’est pas faite attendre sur Facebook, où de nombreux internautes ont déploré la réaction du Premier ministre de la région de Mandalay, avec cette mention par exemple : « je regrette de vous avoir admiré. Vous avez prêché la démocratie et maintenant que vous êtes politicien, vous poursuivez les gens pour des choses si secondaires. Si vous êtes si à fleur de peau, quittez la vie publique ! »
La loi birmane permet bien d’autres types d’actions que cette accusation de diffamation sous l’article 66(d) si décrié car il est formulé de manière si floue qu’il en est passe-partout et qu’il criminalise l’usage d’internet, aboutissant donc en cas de condamnation non pas à de simples amendes mais à de lourdes peines de prison. Et depuis plus d’un an, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer la LND et sa culture de la répression des opinions discordantes, tant en internet qu’en externe. Une ONG comme Athan (la voix, en birman) fait état de bien plus de plaintes contre des journalistes par la LND depuis son arrivée au pouvoir que par les militaires : en un peu moins de 4 ans, 6 poursuites intentées par l’armée contre 20 par des fonctionnaires agissant sur instructions du gouvernement.
Une personnalité de la LND souvent moquée au sein de son propre parti et souvent en butte aux médias brille toutefois par sa tolérance envers la sorte d’humour que sont les ‘memes’ : le Premier ministre de la région de Yangon, U Phyo Min Thein. Alors que lui aussi « bénéficie » d’un groupe de ‘memes’ dédié, « We Love Kwee Phyo » (« Nous aimons frère Phyo » il a toujours eu l’ouverture d’esprit et l’intelligence de ne rien dire et de laisser faire.