ACF est présente au Myanmar depuis 1994. L'Etat de l'Arakan, où l'ONG a initié ses activités dans le pays, est aujourd'hui encore celui où elle concentre le plus gros de ses activités ; bien qu'elle travaille aussi à la frontière Thaïlandaise, et jusqu'à très récemment auprès des communautés isolées de l'Etat Chin. Son objectif: prévenir et soigner la malnutrition aigue et chronique partout où elle fait rage. Lumière sur une ONG bien connue des français, grâce à Juan Gabriel Wells, son représentant au Myanmar, qui nous livre quelques uns de ses secrets.
Une professionnelle de la nutrition dans un contexte soigneusement étudié
La bonne volonté oui, mais l'expertise sectorielle avant tout. ACF illustre à la perfection ce qu'il est commun d'entendre de nos jours sur le travail des ONG. C'est d'ailleurs cette fine maitrise des rouages de la nutrition qui différencie ACF de ses consoeurs françaises, selon Juan, qui a gravi les échelons d'ACF en un temps record. Après plusieurs années dans le secteur privé, dont la banque, Juan fait ses premiers pas chez ACF comme logisticien au Pakistan.
En l'espace de 5 ans, et en ayant posé ses bagages tour à tour au Sud Soudan, en Irak et au Liberia, Juan devient vite "Directeur pays", i.e la personne qui tient les rennes de l'organisation dans un pays d'intervention. Petit nouveau fraichement débarqué au Myanmar depuis quelques semaines, Juan semble avoir pourtant emmagasiné une quantité d'informations qui force l'admiration. Il saute avec aisance du conflit dans le Kachin au caractère exceptionnel des enjeux politiques qui attendent le nouveau gouvernement birman et retrace l'histoire d'ACF dans le pays comme s'il l'avait suivie de près. C'est l'envie d'être acteur de ce tournant historique qui a d'ailleurs influencé Juan, dans le choix de sa nouvelle affectation.
Action contre la Faim au Myanmar
ACF au Myanmar ce sont aujourd'hui près de 600 employés, un budget annuel d'une dizaine de millions d'euros et une myriade de programmes dans les secteurs de la nutrition, l'eau, l'hygiène et l'assainissement, la sécurité alimentaire et les moyens d'existence, la réduction des risques de catastrophe. Tous convergent vers le même objectif introduit plus haut : prévenir et soigner la malnutrition aïgue (capable, par les complications médicales qu'elle implique si elle n'est pas soignée à tant, de faucher des vies de manière fulgurante), et chronique (moins visible mais toute aussi pernicieuse).
Les zones d'intervention d'ACF sont d'ailleurs dictées par les taux de cette double malnutrition.
Aujourd'hui dans l'Arakan et l'Etat Kayah, ACF pourrait prochainement étendre son action à la "dry zone", au centre du pays, ou reprendre ses programmes dans le Chin, d'où elle a du récemment partir, faute de financements suffisants. La présence d'acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux est un second critère de présence.
A l'instar de Médecins Sans Frontières dont le mot d'ordre est d'aller là où "personne ne va plus" et où les crises sont totalement oubliées des médias et du grand public, ACF était jusqu'à très récemment l'une des rares organisations à être présentes dans le Nord de l'Etat de l'Arakan, à la frontière avec le Bangladesh. Et pourtant, la situation humanitaire y reste alarmante.
Au coeur de l'un des plus gros programme nutritionnel d'ACF dans le monde
Difficilement croyable mais pourtant vrai: les taux de malnutrition observés aujourd'hui au Myanmar dépassent ceux recensés dans les plus pauvres nations africaines. Alors pour lutter contre cette pathologie qui fait des ravages, ACF doit chaque année déployer une logistique infernale, au travers d'un projet de 3 millions d'euros , employant plusieurs centaines de personnes recrutées et formées localement, comptant sur une flotte de dizaines de véhicules, tout autant de bateaux, et près d'une quinzaine de centres nutritionnels et points de distribution. Ancienne employée d'ACF, je me suis rendue dans l'un d'entre eux.
Après une longue épopée en avion, bateau et voiture depuis Yangon, nous voilà dans un village perdu de l'Arakan, comme il en existe des centaines. Le décor est superbe et les scènes de vie au bord de la rivière incroyables: des charrettes tirées par des b?ufs et que man?uvrent de très jeunes enfants, des ombrelles de toutes les couleurs, des embarcations de bric et de broc remplies à ras bord, des poissons volants, des femmes faisant leur lessive aux côtés de leurs enfants s'éclaboussant dans la rivière. Un cadre idyllique qui masque pourtant une réalité glaçante.
A l'arrivée dans le centre, on ne peut qu'être mal à l'aise. Une pièce sombre dans laquelle nous accueille une cinquantaine de "bénéficiaires", pour la plupart amaigris et aux traits creusés. Il s'agit de la salle de "screening", là où tout commence puisque les mesures sont prises et le degré de malnutrition des enfants et femmes enceintes et allaitantes conditionne leur entrée dans le programme. Le staff semble débordé à cette heure de "pointe", devant des familles qui ont souvent du marcher plusieurs heures pour arriver ici. Il n'en exécute pas moins un protocole savamment maitrisé : mesure du périmètre brachial, pesée, tests des ?dèmes et de l'appétit.
S'ils sont admis, les bénéficiaires devront revenir de façon hebdomadaire dans ce centre en bambou où ils recevront aliments thérapeutiques, suivi psychologique, conseil en pratiques de soin, éducation à l'hygiène, et ce jusqu' à leur guérison. Le personnel met tout en ?uvre pour accueillir au mieux les familles, malgré des moyens et un espace clairement limités. Des guirlandes de papier en couleur et des animaux en plastique pour stimuler les interactions mère-enfant côtoient les sachets de Plumpy Nut et les rations fournies par le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies. ACF accueille en moyenne un millier de nouveaux bénéficiaires par mois au sein de ses centres de "Traitement Thérapeutique Ambulatoire".
La majorité des bénéficiaires en sortent définitivement guéris. D'autres, au contraire, sont réadmis quelques mois plus tard ou ont des complications qui nécessitent leur transfert vers un autre centre de "stabilisation".
Alors, à l'heure ou le Myanmar connaît une transition démocratique et un boom économique sans précédent, aura t-il encore besoin de faire appel aux services d'ACF.
De l'urgence au développement : quel futur pour ACF au Myanmar ?
Heureux hasard de temporalité, le nouveau plan stratégique d'ACF pour les cinq prochaines années sera mis en ?uvre parallèlement au mandat du gouvernement récemment élu démocratiquement. Les deux se veulent très ambitieux. Selon Juan, il est grand temps pour ACF au Myanmar de passer d'une approche purement humanitaire et urgentiste, laquelle consiste à mettre tout en place pour sauver des vies en un temps réduit, à une approche développementaliste de plus long terme, qui agit sur tous les facteurs de la malnutrition et de la pauvreté.
Afin de relever le défi, ACF entend bien compter sur les savoir et savoir-faire de nouveaux partenaires au sein de la société civile, ainsi que d'un appui indispensable des autorités. Car selon Juan, ce n'est qu'en travaillant ensemble et en mettant en commun des expertises complémentaires, qu'ACF perdra au Myanmar sa raison d'être. N'oublions pas, en effet, que le but ultime d'une ONG internationale est de devenir inutile dans un pays qui sera devenu capable de gérer par lui même ses besoins humanitaires. Et non de prendre racine, comme cela semble être le cas, après plus de 20 ans d'intervention en continu.
Ce nouveau plan stratégique ne perd pas pour autant la force qui unit, selon Juan, les ONG françaises : un devoir de servir en priorité et quoi qu'il en coûte les bénéficiaires, à l'heure ou le modèle entrepreneurial et le souci d'être rentable auprès des Donateurs "menacent" l'altruisme désintéressé de la communauté humanitaire.
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Justine Hugues (www.lepetitjournal.com/Birmanie) Jeudi 29 Septembre 2016