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LEILA SLIMANI : « Le roman doit bousculer, déranger »

Leila Slimani Salon du livre BeyrouthLeila Slimani Salon du livre Beyrouth
Leila Slimani interviewée sur le stand LPJ Beyrouth par Caroline Irigoin
Écrit par Caroline IRIGOIN
Publié le 13 novembre 2017, mis à jour le 13 novembre 2017

A l’occasion du Salon du Livre francophone de Beyrouth, l’auteure franco-marocaine, nommée représentante personnelle d’Emmanuel Macron à la francophonie,  nous parle de sa « Chanson douce », pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt 2016.

 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

L’envie d’écrire ce livre ne vient pas d’un besoin de mener une critique sociale. Quand on commence un livre, on a surtout envie d’écrire une histoire. On part d’un personnage et on a envie de raconter sa vie. Il y a beaucoup de choses qui s’imposent au cours de l’écriture, de la construction du texte et de la plume. Ça s’est fait très naturellement. Ce qui m’a guidé au départ, c’est l’envie de décrire un personnage de nounou, Louise. C’est le personnage le plus important.

Mon livre s’appelle Chanson douce pour désarçonner le lecteur face à l’intrigue qui l’attend. Je veux déjouer ses attentes et l’amener sur une fausse piste. Parce c’est aussi un roman sur les fausses pistes et les apparences, qui entre dans la psychologie de quelqu’un donnant l’impression d’être absolument lisse et qui va montrer qu’elle ne l’est pas du tout.

Chanson douce, c’est aussi une référence à la chanson d’Henri Salvador, une berceuse banale qu’on chante aux enfants en France. J’aime l’idée que la berceuse ne soit seulement douce et mielleuse. Elle peut aussi être hypnotique et être utilisée pour endormir ou exercer un pouvoir sur quelqu’un. D’une certaine façon, Louise chante une berceuse à cette famille pour l’endormir, pour endormir sa vigilance et prendre le pouvoir sur eux.

 

Vous proposez une analyse sociologique de deux classes sociales différentes. Avez-vous cherché à  happer le lecteur dans leur psychologie respective afin qu’il ressente de l’empathie pour eux ?

Oui. Ce roman ne cherche pas à désigner des responsabilités. J’essaie de ne jamais juger mes personnages. Ce que j’essaie de susciter chez le lecteur, c’est une forme d’empathie. J’avais, par exemple, envie qu’on aime Louise, dont on sait dès le début qu’elle va commettre un acte atroce, que l’on comprenne sa noirceur et sa solitude.

Le roman n’est pas là pour passer un message. Il doit bousculer, déranger, nous sortir de notre quotidien, de notre façon d’aborder les autres et le réel tous les jours. On a une manière manichéenne de penser, de trancher, de ranger les gens dans des catégories. La littérature est là pour donner de l’ampleur, à montrer toutes les contradictions de l’âme humaine. Un être humain est beaucoup plus compliqué et passionnant que la façon dont on l’aborde dans la vie quotidienne.

 

Y-a-t-il un parallèle possible à faire entre le personnage de Louise et les travailleuses domestiques au Liban ?

Domestique vient du grec « domos », la maison. La domestique, c’est celle qui vit dans la maison. Je parle beaucoup de la manière dont elle va occuper l’espace et se construire une sorte de nid. Elle refait la décoration, elle nettoie tout. Elle a un vrai rapport à l’espace de conquête. Elle est « comme un général qui est devant une terre à conquérir ». Le principe même de la domestique, c’est à la fois le fait que c’est quelqu’un dont on a besoin, mais c’est aussi quelqu’un qui recherche la discrétion. Elle doit être discrète, baisser les yeux.

 

Le style très cru fait-il écho au sujet abordé en lui-même ?

Le style est toujours imposé par le sujet. Comme il s’agit d’un roman où il y a beaucoup d’ambigüités sur le plan moral, des sentiments, que c’est roman sur le mystère, sur le flou et sur les frontières, j’avais estimé que la forme soit, au contraire, très clair.

Commencer par quelque chose de dramatique permet à cette banalité de prendre une ampleur. Ce début soudain et cru permet au lecteur de s’intéresser à cette histoire et à cette famille. Cette fatalité de départ donne l’impression qu’il y a quelque chose d’irréversible qui est en marche, même s’il fallait instiller une forme de suspens.

 

La scène de la carcasse de poulet que Louise ressort de la poubelle et pose sur la table symbolise-t-elle un basculement morbide dans votre livre, participant de cette fatalité ?

Oui, il y a deux moments de bascule dans mon livre. Le premier est celui des vacances en Grèce, parce que c’est la première fois que Louise sort de son rôle de nounou discrète dans l’appartement. La famille va la voir telle qu’elle est.

Le deuxième, c’est celui de la carcasse de poulet, celui de la bascule vers un conflit ouvert. Jusque-là, c’était un conflit larvé. La carcasse de poulet est une façon pour Louise de signifier quelque chose à la famille. C’est pour ça que c’est angoissant, tout est insinué.

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