Si les Turcs d’Allemagne avaient voté en majorité pour Erdogan au premier tour des élections le 14 mai dernier, ce dernier devait tout de même affronter l’opposition lors d’un second tour. Mais le 28 mai, le président sortant a bel est bien reconduit son mandat pour cinq ans, avec le soutien indéfectible de sa diaspora en Allemagne.
Selon les chiffres du Figaro, le 14 mai, environ 64% des Turcs allemands et français ont voté pour Erdogan à l'élection présidentielle. La diaspora turque a un poids important. En Allemagne, sur les 1.500.000 électeurs, 65,4% ont glissé un bulletin pour Recep Tayyip Erdogan contre 32,61% pour son opposant Kemal Kiliçdaroglu. En France, les électeurs turcs sont un peu plus de 397.000 et ont également voté en faveur de Erdogan avec 64,24% des suffrages, contre 34,15% pour Kiliçdaroglu.
Cinq ans de plus pour Erdogan à la tête de la Turquie
Pour le second tour, les Turcs de l'étranger se sont encore davantage déplacés,
avec 1,9 million de votants, contre 1,69 million au premier. Le président sortant
Recep Tayyip Erdoğan a alors été élu avec 52,18% des voix.
De plus, même avant de reconduire son mandat présidentiel, la coalition
d'Erdogan avait été élu majoritairement au Parlement lors des élections
législatives, qui se sont tenues dimanche 14 mai. Composée de son Parti de la
justice et du développement (AKP) et ses alliés, notamment le Parti de l'action
nationaliste (extrême droite), la coalition a obtenu 322 sièges sur 600, contre 213
pour l'alliance d'opposition, qui comprend le Parti républicain du peuple (CHP)
de Kemal Kiliçdaroglu, et 65 sièges pour la coalition de la gauche pro-kurde.
Quelle relation entre la Turquie et l’Allemagne ?
D'après Caner Aver, du centre d'études sur la Turquie et de
recherche sur l'intégration à Essen, pour la Deutsche Welle : "L'Allemagne a toujours été liée à la Turquie et, avant cela, l'Empire allemand à
l'Empire ottoman".
"Il y a même eu une alliance pendant la Première Guerre mondiale. Et après encore, l'Allemagne a conclu, en 1961, l'accord sur les Gastarbeiter, les travailleurs invités, en particulier avec la Turquie. Cela a coïncidé avec une période de problèmes économiques en Turquie, ce qui a aidé l'Allemagne à obtenir de la main-d'œuvre bon marché. Et la Turquie pouvait envoyer des chômeurs ou des travailleurs à l'étranger et ainsi obtenir des devises et améliorer la situation sur le marché du travail. Ce sont donc des raisons économiques des deux côtés qui ont fait que l'Allemagne est devenue, au fil du temps, la plus grande diaspora turque.".
Quel lien entre les Turcs d’Allemagne et le parti conservateur d’Erdogan ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le plébiscite des Turcs d'Allemagne pour
Erdogan : "Il y a d'abord l'origine sociale des personnes", explique Caner
Aver. "Les personnes arrivées dans les années 1960 sont originaires d'Anatolie,
de milieux peu éduqués, de régions rurales, plutôt conservatrices,
traditionnelles, orientées vers la religion ou le nationalisme. C'est le milieu
politique dont elles sont issues, et elles ont donc continué à vivre avec ces
valeurs en Allemagne et les ont transmises à leurs descendants.".
D’autre part, le parti AKP a installé une relation avec les populations turques
d’Allemagne via les organisations gouvernementales à l'étranger, mais aussi des
organisations culturelles, religieuses ou les consulats.
La Dr. Inci Öykü Yener-Roderburg de l'institut d’études turques basée
également à Essen explique en parlant des mosquées "l'importance de ces lieux
devenus plus que de simples lieux de culte. On y va pour se retrouver en famille,
parfois avoir des conseils santé, prendre des cours d'allemand... ". "L'Allemagne
n'a pas vraiment offert de tels espaces à ces personnes laissées dans leurs
propres petits ghettos. Depuis 2002, l'AKP utilise ces espaces".
L'Allemagne n'a pas vraiment offert de tels espaces à ces personnes laissées dans leurs propres petits ghettos. Depuis 2002, l'AKP utilise ces espaces.
Caner Aver explique aussi le vote en faveur de Recep Tayyip Erdogan par un
autre facteur. "Il est lié au sentiment d'intégration", analyse-t-il. "On parle des
personnes qui ne trouvent pas forcément de « foyer émotionnel » ici en
Allemagne, ont vécu des expériences de racisme ou sont confrontées aux débats
sur l'intégration, la migration ou l'islam, souvent menés sur le dos des
personnes d'origine turque. Elles vont plus facilement se tourner vers la
mémoire collective du milieu conservateur turque et se retrouver directement
dans les bras de l'AKP et d'Erdogan.".
Enfin, beaucoup d'électeurs ou d'électrices du président sortant mettent aussi en
avant les avancées en termes d'infrastructures, d'industrialisation ou du système
de santé sous sa présidence.
Néanmoins, la Dr. Inci Öykü Yener-Roderburg rappelle qu’il faut nuancer les
chiffres annoncés : "Il ne faut pas oublier que la moitié des personnes d'origine
turque n'a pas le droit de vote et aussi que seuls la moitié (48,3%) de ceux qui
peuvent voter l'ont fait", "Certains disent être intégrés en Allemagne, et donc ne
pas vouloir voter pour les élections turques", raconte la chercheuse. "Ce sont en
fait souvent des gens peu intégrés dans les organisations de la diaspora. Et puis
il y a aussi tous ceux qui ne veulent pas voter parce qu'ils ne croient plus au
changement, voire n'ont pas confiance dans le fait que leur voix soit comptée."
Une venue prochaine d’Erdogan en Allemagne ?
À la Une de TFI Info, le lendemain du second tour, le 29 mai, le chancelier allemand a annoncé avoir invité à Berlin le président turc réélu Recep Tayyip Erdogan, lors d'un entretien téléphonique, avec l'objectif de redonner "un nouvel élan" à la coopération entre les deux pays.
L'Allemagne et la Turquie, tous deux membres de l'OTAN, veulent "aborder la
coopération entre les deux gouvernements avec un nouvel élan" et "s'entendre
sur des priorités communes à un stade précoce", a déclaré le porte-parole d'Olaf
Scholz dans un communiqué. À cette fin, le président Erdogan a été "invité à se
rendre à Berlin pour une visite inaugurale", a-t-il ajouté, sans préciser de date.
[A LA UNE A 19H]
— Agence France-Presse (@afpfr) May 29, 2023
Le chancelier allemand Olaf Scholz a invité à Berlin le président turc tout juste réélu Recep Tayyip Erdogan avec l'objectif de redonner un nouvel élan à la coopération entre les deux pays #AFP 2/5 pic.twitter.com/yNMCTiarvw
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