On pourrait dire que François Devy est un expatrié pur souche ! 48 ans, dont 47 à l’étranger. Alors qu’il avait un très bon boulot, il décide de tout lâcher pour monter une entreprise qui va révolutionner la manière de faire des vêtements de sport, 100% recyclés et 100% recyclables, en utilisant uniquement les cordes de raquette usagées. Finaliste du Trophée Innovation -dont le lauréat sera révélé par lepetitjournal.com courant mars lors d'une soirée de prestige au Quai d'Orsay à Paris- ce Français de Barcelone a eu une idée de génie.
Est-ce la crise des 45 ans ou le fait d’être père de 3 filles, sa "plus grande fierté", ou tout simplement une profonde inquiétude pour l’environnement et l’avenir de notre planète ? Le fait est que François Devy décide un jour, après plus de 20 ans comme salarié, de faire le grand saut dans le monde de l’entreprenariat avec la création d’une entreprise de marque de vêtements de tennis 100% circulaire et durable.
Le chemin a été long. "Quelques années en charge d’une entreprise textile -explique François Devy- m’ont ouvert les yeux sur les défis de cette industrie pour régler son problème le plus gros, à commencer par son empreinte carbone démesurée. Je me suis vite rendu compte que ce qui intéressent vraiment les grandes marques, c’est de fabriquer à moindre coût, en particulier en Asie".
Soi-disant écolo
Mais ce n’est pas tout. François Devy rapporte qu’il existe de plus en plus d’entreprises qui vendent des produits soi-disant écologiques, mais qui en fait ne le sont pas. "Certaines marques utilisent par exemple des bouteilles en plastique recyclées dans la fabrication de leurs produits, mais d'un autre côté, elles polluent avec des substances chimiques qui fabriquent des vêtements de qualité médiocre, et qui ont souvent parcouru entre 20 et 30.000 km. Ce n’est donc pas écologique. Et je voulais trouver un autre moyen véritablement respectueux de l'environnement".
Alors, avec deux amis qui partageaient cette même inquiétude, ils ont cherché ce qu’ils pourraient faire pour une solution durable, circulaire et technique, avec en plus une composante sociale. Ils ont alors réfléchi à tous ces matériaux qui sont jetés dans les décharges et c’est dans leur club de tennis que leur est venu une idée de génie.
Des cordages au tee-shirt
"Les raquettes des joueurs –explique François Devy- sont cordées, re-cordées, re-re-cordées… Et des tonnes de cordages plus ou moins usés sont ainsi jetées à la poubelle. Or, ces cordes sont en polyester, et l'idée nous est venue de les recycler pour produire des vêtements. Comme, en plus, nous voulions créer une conception écologique dès le début de la chaîne, le vêtement devait être mono-matériau, sans produits chimiques et ainsi beaucoup plus facile à recycler à la fin de sa vie utile".
Infinite Athletic promet moins de consommation d’eau et d’énergie
Avec le recyclage des cordages de raquettes, les économies d'eau par rapport à l'industrie traditionnelle sont de 70%, la consommation d'énergie de 60% et les émissions de CO2 de 48%. "En ajoutant la couleur pendant le filage et non au tissu -explique François Devy- nous évitons les bains de teinture. Dans le fil nous introduisons des ions d’argent, qui limitent la prolifération des microbes et donc les mauvaises odeurs. Ensuite le tissu, qui est hyper léger, est naturellement élastique et ne requiert pas d’adoucissant ni de silicone, ce qui fait qu’il respire plus. Il a été testé par les joueurs et d’anciens professionnels qui l’ont tout de suite adopté. C’est un concept unique en son genre".
Une chaîne de production basée en Catalogne
Et comme c’est un tissu fait uniquement de cordages, il peut être recyclé à l’infini. Selon une étude de marché, 30% des vêtements achetés ne sont utilisés qu'une seule fois et 87% finissent à la poubelle. Par ailleurs, seulement 3% des vêtements sont fabriqués à partir de matériaux recyclés. Et sur ce total, seul 1,5% est recyclé à nouveau. "Un impact brutal –tient à souligner François Devy- quand on sait que 35.000 tee-shirts en polyester sont fabriqués chaque seconde dans le monde, c'est pourquoi il est si important de les recycler et de leur donner une seconde vie".
Autre point vital pour le co-fondateur d’Infinite Athletic : le lieu et la chaîne de production. "On s’est rendu compte qu’il n’y a plus d’« expertise » textile en Europe, puisque tout a été délocalisé vers les pays asiatiques. La fabrication d’un vêtement nécessite six ou sept processus de confection. Il est primordial de contrôler la chaîne de production, ce qui est notre cas puisqu’elle est basée en Catalogne, avec un maximum de 150 km entre le cordage et la confection".
Deux années de R&D pour aboutir à Infinite Athletic
Le projet leur a pris deux ans de recherches pour arriver, à partir des cordages de raquettes, à filer, texturer et obtenir un vêtement de cette matière. Infinite Athletic était née. C’était en 2020 et ils ont commencé à commercialiser leurs vêtements en octobre 2021. "Nous sommes la première entreprise au monde à avoir réussi à recycler le polyester des cordages pour lui donner une seconde utilisation -affirme François Devy. Nous avons pu fabriquer un vêtement de qualité qui mettra plus longtemps à se détériorer. L'idée est avant tout de prendre soin de la planète".
L'idée est avant tout de prendre soin de la planète
Rappelons qu’un joueur semi-professionnel consomme environ 10 cordages par semaine en moyenne et un professionnel, environ 20, sans parler des cordes jetées par les joueurs amateurs. Le calcul est vite fait. Selon une étude de marché réalisée par la marque, environ 400 tonnes de cordages de raquettes finissent chaque année dans des décharges ou des incinérateurs en Europe, dont 200 tonnes rien qu'en France et 60 tonnes en Espagne.
Cinq cordes = un T-shirt
Or, Infinite Athletic n'a besoin que des cordes de cinq raquettes pour fabriquer un tee-shirt. Il ont donc mis en place tout un écosystème avec les clubs de tennis, les fédérations et autres points de vente spécialisés afin d’installer des points de collecte de cordages de raquettes, une excellente façon de sensibiliser les joueurs qui se sentent plus impliqués.
L'idée est de passer à toute l’Espagne, la France, l’Italie et l’Allemagne et ensuite répliquer le processus de production au Mexique pour aller vers les États-Unis
Et cela fonctionne très bien. En 2021, l’entreprise a pu récupérer 5 tonnes de cordages et ses prévisions sont d’atteindre les 150 tonnes en 2022. "Nous avons commencé en Catalogne –explique le cofondateur d’Infinite Athletic– mais l'idée est de passer à toute l’Espagne, la France, l’Italie et l’Allemagne et ensuite répliquer le processus de production au Mexique pour aller vers les États-Unis. Et, en plus des cordages usagés des joueurs de tennis, on a commencé à utiliser les restes de production qui finissaient dans les décharges depuis plus de 50 ans. Pour cela on est arrivés par exemple à un accord avec plusieurs marques de sport et distributeurs français et espagnol qui ont des processus de production".
La balle est dans notre camp
Et comme tout bon entrepreneur, il ne pense pas s’arrêter là. "Les fédérations jettent beaucoup de balles de tennis, mais aussi les tubes qui contiennent ces balles –signale François Devy- et ça aussi on va voir comment le recycler, parce que les balles pourraient servir à fabriquer la semelle de chaussures de sport, et pour le haut, on utiliserait les cordes. Ensuite on a commencé à étudier ce qu’on peut faire dans d’autres sports, où l’on jette aussi beaucoup, comme dans le secteur de la montagne ou de la mer par exemple".