Le 31 décembre l'année prochaine entrera en vigueur la Communauté Economique de l'ASEAN (AEC), qui vise à l'intégration des pays d'Asie du Sud-Est en un marché de 630 millions de consommateurs et une base de production unique. Mais sont-ils prêts?
Etablir une communauté économique dans un ensemble de pays qui comporte à la fois Singapour et le Laos, le pari est plutôt risqué. "Contrairement à l'Europe, qui est relativement homogène dans sa culture, sa religion et ses conditions économiques, les pays de l'Asean diffèrent entre eux sur tous les points", rappelle Krishnasamy Kesavapany l'ancien directeur de l'Institute for South East Asian Studies à Singapour.
Disparités profondes
L'Asean, c'est dix pays aux niveaux de développement les plus variés, parfois aux antipodes les uns des autres.
Pour s'en convaincre, quelques chiffres : Singapour est la quatrième place boursière mondiale, quand la Birmanie ébauche à peine un système bancaire depuis 2011. Pour ce qui du revenu par habitant, la première caracole dans les dix meilleurs élèves mondiaux, tandis qu'on trouve le Laos ou encore les Philippines dans le bas du classement, autour de la place 130, selon les sources. Derrière ces chiffres abstraits se cachent des divergences profondes en termes de modes de vie, d'éducation, de rapport au travail. On ne vit pas, on ne produit pas, on ne travaille pas de la même façon au Cambodge qu'à Kuala-Lumpur.
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11e FORUM ASEAN - 17 et 18 novembre, Bangkok Les 17 et 18 novembre aura lieu à Bangkok 11e Forum Asean, un rendez-vous économique de haut niveau doublé d'un espace d'affaires, organisé par les Conseillers du Commerce Extérieur. L'événement réunira des personnalités du monde des affaires et des analystes pour évoquer autour de tables rondes différents sujets portant sur l'ASEAN et aussi ses relations avec la France (et plus largement les relations entre l'Asie et l'Europe). Le forum sera animé par Nicolas Beytout, journaliste économique fondateur du journal l'Opinion, qui intervient régulièrement sur le plateau de l'émission C Dans l'air sur France 5. On retrouvera notamment Surin Pitsuwan, l'ancien secrétaire général de l'Asean, Louis Gallois, Président du Conseil de Surveillance du groupe PSA et auteur du rapport sur la compétitivité, le géopoliticien Jean-Christophe Victor, présentateur de l'émission "Le dessous des cartes" sur Arte ou encore François Loos, l'ancien ministre délégué au commerce extérieur et ancien ministre délégué à l'Industrie. Le nouveau président du Comité national des CCEF, Alain Bentejac, sera également présent, accompagné de neuf des 10 ambassadeurs de France en poste dans l'ASEAN dont bien entendu Thierry Viteau, ambassadeur de France en Thaïlande. Philippe Varin, représentant spécial du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, en charge des relations économiques avec l'ASEAN, fera un discours d'ouverture ainsi que Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger qui s'exprimera via un message vidéo. Pour en savoir plus, lire aussi notre article Pour s'inscrire au forum cliquer ici Les sponsors du Forum |
De quoi devenir la septième économie mondiale
Comment dans ces conditions envisager une union économique? Certains éléments de l'Asean Economic Community (AEC) sont pourtant déjà en vigueur, tout particulièrement pour les pays qu'on appelle l'Asean 6 : Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Singapour, Philippines et Vietnam ainsi que pour les trois puissances de l'Asean +3, Chine Japon, Corée du Sud. Depuis 2010 des accords de libre échange et une baisse drastique des tarifs douaniers ont déjà commencé à changer la donne. Même si certains détracteurs arguent que ces accords profitent surtout aux trois puissances asiatiques (invasion soudaine de textile chinois sur les marchés de province, production record d'automobiles japonaises), ils ont indéniablement favorisé les échanges intra-asiatiques, rendant la zone bien moins dépendante des achats européens et américains. Avec un PIB combiné de 2.400 milliards de dollars et un taux de croissance record, l'Asean pourrait devenir la septième économie mondiale.
La question de la libre circulation
Mais un marché unique implique la libre circulation des biens et des personnes. On en est loin. Le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz a mis en garde les pays de l'Asean contre une fuite des cerveaux, notamment dans le domaine médical. "La possibilité que tous les médecins quittent les pays pauvres pour aller dans les pays riches de la zone doit être considéré comme un vrai problème", dit-il. "Un système de subventions financé par de grandes compagnies devrait être mis en place pour maintenir un système de santé adéquat".
Pour Surin Pitsuwan, ancien secrétaire général de l'Asean, la libre circulation des personnes ne concernera que les "travailleurs qualifiés". La Thaïlande a très peur de perdre dans cette ouverture des emplois pour sa population locale sans rien gagner en retour. Bref, c'est toujours la même histoire du plombier polonais, symbole de toutes les peurs françaises, sauf qu'ici le plombier est plutôt une infirmière Philippine. "Au fur et à mesure qu'on avance dans le procédé d'intégration, estime Surin, il y aura des gagnants et des perdants dans le paysage économique, c'est inévitable". Des pays comme la Malaisie ou les Philippines, avec une population qualifiée, anglophone et mobile, devraient en profiter plus que les parents pauvres de l'Asean. De l'aveu même de Chuop Narath, secrétaire d'état à l'Emploi du Cambodge, "nous ne sommes pas prêts pour l'AEC l'année prochaine".
Vers une monnaie unique ?
L'intégration financière et monétaire est elle aussi repoussée aux calendes grecques. Elle est pourtant nécessaire pour ne pas dépendre en permanence du dollar. Plusieurs initiatives ont été réalisées en ce sens, dont la Chiang Mai Initiative qui prévoit des prêts entre pays de la zone en cas de crise économique. Mais les Etats-Unis exercent une pression constante pour ralentir le procédé et conserver l'influence du Fond Monétaire International. Avancée importante, la Banque Asiatique de Développement calcule désormais le taux de l'Asian Monetary Unit, AMU, une monnaie virtuelle, équivalent de l'ECU avant l'Euro, composée d'un panier de 13 monnaies asiatiques, qui pourrait préfigurer une véritable monnaie commune.
D'énormes chantiers sont donc toujours en cours de réalisation. Comme lors de la construction européenne, les intérêts économiques précèdent le sentiment des populations d'appartenance à une communauté. En plus de disparités économiques, les nationalismes sud-est asiatiques restent très forts.
Carol ISOUX mardi 4 novembre 2014